Snob ou raffinée, superficielle ou impertinente, la figure du dandy est autant moquée qu’admirée. Il est temps de lui redonner ses lettres de noblesse et de prouver à quel point ce mode de vie est furieusement d’actualité. Voici quelques conseils de savoir-vivre qui demande, rassurez-vous, des gants, certainement, mais pas de gel hydroalcoolique.
Le 27/05/2020 à 17:37 par Gariépy Raphaël
4 Réactions | 1 Partages
Publié le :
27/05/2020 à 17:37
4
Commentaires
1
Partages
Le déconfinement a enfin eu lieu, et la vie va peu à peu reprendre son cours. Pour vous aider à retrouver vos habitudes sans participer à la création d'une seconde vague de contamination, on vous propose de revenir à un temps où l’on passait beaucoup de temps à sa toilette et où l’on portait des gants. Distanciation sociale, style, décoration intérieure, oisiveté... La figure du dandy et ses avatars ont beaucoup à nous apprendre. Découvrez les conseils posthumes de ces illustres syphilitiques pour vivre cette période troublée avec élégance.
Dans À rebours Huysmans met en scène un personnage de dandy, le duc Jean Des Esseintes, resté célèbre pour son raffinement extrême. Dernier descendant d'une famille illustre, dégoûté de la vie mondaine, le personnage se retire dans une villa de la banlieue parisienne, à Fontenay, pour s'y créer un monde conforme à ses goûts. Il cultivera dans cette retraite solitaire des plaisirs subtils et inaccessibles au vulgaire.
Pour Des Esseintes « la nature a fait son temps », les joies de l'extérieur, la beauté des espaces verts et la vie en société sont décidément passées de mode.L'aristocrate, un tantinet décadent, trouve dans le luxe et dans l'artifice un sens à son existence et développe une véritable poétique de l'ornement intérieur. « Le mouvement lui paraissait d’ailleurs inutile et l’imagination lui semblait pouvoir aisément suppléer à la vulgaire réalité des faits. À son avis il était possible de contenter les désirs réputés les plus difficiles à satisfaire dans la vie normale, et cela par un léger subterfuge ».
Le meilleur exemple de l'utilité de cette philosophie, en ces temps d'interdiction de déplacement à plus de 100 kilomètres, reste le voyage de Des Esseinte en Angleterre. Arrivé au port, un orage le pousse à s'abriter dans une auberge. Devant son repas chaud alors que l'odeur des tissus humides embaume l'atmosphère et que la pluie bat au carreau, notre héros prend la décision de rentrer chez lui. Le dandy est en effet persuadé d'avoir déjà eu l'expérience qu'il cherchait de l'autre côté de la manche en restant assis à attendre que l'averse passe.
Aujourd'hui, alors que les parcs et les cafés restent fermés inspirons-nous de son exemple. Pourquoi bouger de chez soi si l'artifice et un peu d'imagination peuvent remplacer le réel ? Prenez cependant garde aux légers effets secondaires, que sont la déliquescence et la folie, qui frapperont le personnage à la fin du roman.
Retrouver sa famille et ses amis tout en respectant les mesures sanitaires n’est pas toujours chose aisée.
Notre premier conseil, prenez l'inébranlable résolution de ne pas être émus, contenez la moindre effusion de joie, soyez froid et maitrisé en toute circonstance. Faites donc vôtre cette citation délicieusement méprisante de Baudelaire « Beaucoup d’amis, beaucoup de gants », pour transformer l’impossibilité de retrouver toute forme de chaleur humaine en un dédain subtil, muer votre solitude et vos angoisses en l’aristocratique art de déplaire.
Pour la sortie en ville, munissez-vous d’une canne, accessoire qui risque fort de faire son grand retour en société. Idéale pour presser un bouton d’ascenseur, ouvrir une porte de métro, ou taper sur la tête de collégiens chahuteurs, la canne d'une longueur d'environ un mètre est parfaite pour imposer le respect d'une distanciation sociale.
Prenez exemple sur le compte Robert de Montesquiou, dandy parmi les dandys qui, lors d’un duel, arborait une baguette si élégante que le journaliste Louis Marsolleau la décrivit en ces termes « une ombre, un souffle, un rien, un fil de vierge, un fantôme de bâton, un spectre de badine ! Quelque chose de si léger, de si mince, de si atténué..ha! d'un bois si tendrement anémié et si sveltement flexible qu'une tige de pavot en fût venue à bout au lieu d'en être décapitée ». On ne parle donc pas d’un bâton pour les randonnées de montagne.
Le soin apporté à sa toilette, souvent considéré comme superficiel, n’a jamais été aussi essentiel et va continuer à revêtir une importance cruciale dans les semaines à venir. George Brummell, dit le beau Brumell, pionnier du dandysme britannique, consacrait selon le mythe qu'il contribua fortement à créer, cinq heures par jour à sa mise et sa tenue, afin de ne passer aucun détail qui puisse nuire à son image.
Si la demi-journée de préparation vous semble un peu excessive on vous invite à méditer sur cette citation d'Oscar Wilde : « Seuls les gens superficiels ne jugent pas sur les apparences. » De nos jours un masque parfaitement ajusté vous assurera une reconnaissance sociale immédiate. Promotion professionnelle, séduction, tout risque de se jouer à ce bout de tissu, alors faites un effort.
Le contexte social d'une France post-confinement est particulièrement tendu. Les manifestations ne pouvant reprendre avant que l'épidémie ait définitivement disparu, essayons de prendre exemple sur nos soldats de l'élégance. En matière de violence, le dandy est un révolté sans révolution, un éternel rebelle qui ne se tache jamais. Le mécontentement du dandy tient dans ses vêtements, s’exprime dans ses saillies, le dandy est dangereux comme Jep Gambardella de la Grande Belleza, figure moderne du mondain italien qui affirme, sourire nostalgique aux lèvres : « Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher ».
En dernier ressort, si vous avez une querelle à régler, ne soyez pas vulgaire, ne vous lancez pas dans ce différend à main nue. Empoigner votre adversaire risque, plus que jamais, d’être aussi dangereux pour vous que pour lui. Le duel au pistolet est une occupation beaucoup plus adaptée aux mesures sanitaires. Proust comme Montesquiou ont eu à régler des duels d'honneur et en sont sortis grandis. On vous conseille une distance de six pas.
Seul hic, s'il est aujourd'hui facile de se procurer un masque au marché noir, l'acquisition d'un pistolet à poudre risque de ne pas être pas aussi évidente.
Enfin le dandy sait s'ennuyer. Loin des regards qu'il attire habituellement, il lui arrive d'écrire. Beaucoup de ces aristocrates ont laissé une oeuvre derrière eux : conséquente et reconnue comme celle de Baudelaire, ou plus discrète pour Montesquiou avec Les Pas effacés (ed. Du Sandre).
On vous laisse sur ses vers d'Oscar Wilde, qui lors de son séjour en prison, condamné à la mélancolie, regardait à travers la fenêtre de sa cellule comme on peut aujourd'hui observer des bouts de ciel depuis les geôles de nos appartements.
La Ballade de la geôle de Reading dans un traduction de Jean Guiloineau.
Crédit photo : Petit Courrier des Dames 1822 Modes de Paris N°87 Dandy, A. Delvaux Engraver
4 Commentaires
corsaire
27/05/2020 à 18:52
http://www.editions-paradigme.com/product/LE-DANDYSME-LITTERAIRE-EN-FRANCE-AU-XIXe-SIECLE-Karin-BECKER
QL
27/05/2020 à 21:57
Figures du dandysme:
https://www.peterlang.com/view/title/61942
Marie
28/05/2020 à 10:13
Ne croirait-on pas que l'enfermement s'est attaqué "aussi" à la langue française? "Distanciation" est utilisé abusivement, emprunté à la pratique théâtrale épique brechtienne et signifiant "recul" dans le sens de "prendre du recul". Un autre mot à la mode (?) est "expertise" qui a complètement supplanté "expérience" et est usité à la place de. Quant au "dandysme", il fut très récemment écrit à l'encontre de feu Michel Picoli,et pas dans un sens flatteur...Pardonnez leur, Monsieur Picoli, ils ne savent plus ce qu'ils écrivent...
Corsaire
28/05/2020 à 15:15
Bonjour Marie,
Vous avez entièrement raison et la langue française est notre plus précieux patrimoine !
Bien à vous
GT