Ce vendredi 4 février se déroulait à l’Hôtel de Massa, une assemblée générale regroupant divers acteurs du monde du livre et en particulier des auteurs, dont on discutait les droits en vue des nouvelles formes d’éditions qui naissent avec le numérique.
Le 07/02/2011 à 08:50 par Clément Solym
Publié le :
07/02/2011 à 08:50
Paul Fournel, Hervé Le Tellier et Gilles Rozier, tous trois écrivains et signataires de la tribune publiée dans le Monde du 02 décembre 2010 (notre actualitté) animaient la discussion sur les droits numériques.
En guise de préliminaires...
« Bientôt le papier ne sera plus qu’un avatar du livre, dont la forme numérique sera la matrice » commence Paul Fournel. Partant de ce constat, il est urgent de prendre conscience des problématiques que soulève ce changement de support, notamment au niveau des droits d’auteurs. Car oui, les écrivains savent discuter de problèmes aussi triviaux que celui de l’argent… quand il le faut !
Hervé Le Tellier prend la parole et s’attaque de pied ferme à la question du pourcentage. Aux USA, les auteurs touchent en moyenne 25 % sur leurs livres contre seulement 10 % en France. Sur le livre papier, ce pourcentage se justifiait par les frais d’impression et de diffusion. Mais sur le livre numérique ces frais sont remplacés par ceux de la transformation de l’ouvrage en format ebook et de la sécurisation des données, qui sont, cela dit, quasi-nuls. C’est donc environ 90 % du prix du livre numérique qui revient à l’éditeur.
Autre problème, poursuit Le Tellier : un livre numérique n’étant pas matériel, il ne peut être épuisé, le contrat d’édition peut donc se prolonger indéfiniment si rien ne vient l’interrompre. Il s’alarme : si le numérique devient le principal outil de lecture et que le système des droits d’auteurs reste le même, le statut d’écrivain est voué à disparaître. D’autre part, une telle conjoncture va pousser de plus en plus les auteurs à recourir à l’autoédition ou à se tourner vers des groupes comme Apple ou Google. C’est donc aussi dans l’intérêt de l’éditeur de changer les choses, s’il veut éviter de perdre son statut de label.
En effet, les grands groupes sont très attractifs. Leurs contrats proposent une rémunération de l’auteur d’environ 70 %. L’opération est d’autre part très simple : il suffit d’un numéro ISBN pour publier ses livres en format ebook sur l’AppStore, par exemple. Toutefois, cette alternative contient un risque pour l’auteur, car les conditions générales de vente d’Apple peuvent changer à tout moment et sans réel contrat d’édition, l’auteur sera alors impuissant.
Gilles Rozier prend à son tour la parole et évoque le fait que les auteurs ont tendance à se désintéresser de ces questions, ce qui décrédibilise ceux qui tentent de résister : « Pourquoi refusez-vous de signer ? dit l’éditeur. Tous les autres l’on fait… ». Le problème vient, plus que d’un réel désintérêt, du fait que les auteurs se sentent impuissants face à la machine incontrôlable du numérique. Mais avant tout ils ne veulent pas se fâcher avec leur éditeur, dont ils dépendent. C’est pourquoi il faut se regrouper au sein d’une cause commune, pour que les auteurs aient plus de poids dans la balance décisionnelle.
La parole est à la salle !
Après cet état des lieux, les trois hommes ont laissé la parole à l’assemblée. Le micro circulant activement de mains en mains, s’est arrêté dans celle de l’écrivain Belinda Cannone, qui prend le parti des éditeurs : « Les éditeurs sont aussi perdus que les auteurs ». Pour elle, auteurs et éditeurs vivent le même combat : il ne faut pas prendre l’éditeur pour l’ennemi, mais au contraire s’entre-aider pour avancer ensemble. Ce à quoi Sebastien Rongier répondra, bien plus tard dans le débat, que les maisons d’édition ne sont pas amies avec le numérique. « Il n’y a cas voir la médiocrité terrifiante des sites internet des éditeurs », tacle-t-il.
Pour lui, ce sont avant tout les auteurs qui doivent s’emparer de l’outil et prendre en acte que l’évolution les concerne directement, puisqu’elle va modifier leurs propres pratiques. Belinda Cannone reprend la parole pour expliquer qu’il ne s’agit pas uniquement d’argent et que le premier problème est la récupération des droits, ce qui nécessite une clause de durée limitée. Son intervention lance le débat : ne pourrait-on pas inventer un contrat d’auteur à durée limitée (CADL) ?
Marie Sellier, la présidente de la charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse explique qu’entre le CPE (conseil permanent des écrivains et la SNE (société nationale de l’édition) les négociations sont en courts depuis 2010 dans le but de créer une plateforme commune qui proposerait des accords de publication limités à 3ans. La SNE reste tout de même opposée aux contrats séparés que réclame le CPE.
Le débat s’oriente alors sur les assiettes de paiement qui restent relativement obscures (elles l’étaient déjà avec le papier).
Par exemple sur Publie.net (toujours lui, sacré François...), les droits d’auteurs diffèrent en fonction du nombre de ventes et de l’acheteur (particuliers, groupes scolaires, etc.). Ce système semble toutefois faire ses preuves sur le marché. Annie Mignard précise que les ventes numériques sur ce type de site fonctionnent surtout par abonnements. C’est donc une approche nouvelle de la vente de textes que Publie.net a adoptée. En acceptant d’innover, le site de François Bon se fait une place de choix dans l’édition numérique.
Avec l’intervention de Valérie Barthez, juriste pour la société des gens de lettres, on s’attaque aux textes de loi. Après une brève évocation de l’article 5bis de la proposition de loi sur le prix unique du livre qui a été supprimé, elle souligne que Gaymard était favorable à une rémunération supérieure des auteurs (notre actualitté).
Droit patrimonial, mais surtout droit moral
La question juridique nous amène à celle du droit moral, qui fait partie intégrante du droit d’auteur. En effet, avec le numérique, n’importe qui peut modifier le texte, le couper ou le sortir de son contexte pour lui faire dire autre chose. On en revient donc aux éditeurs, qui s’engagent à protéger les ouvrages qu’ils publient, mais restent impuissants face au piratage. Leur légitimité est encore une fois remise en cause, comme le montre une intervention dans la salle : « Pourquoi devrions-nous céder nos droits à des éditeurs qui ne sont pas capables de les défendre ? » Ici, petite minute de militantisme. ActuaLitté prévient : la seule défense que les éditeurs proposent contre le piratage est la loi Hadopi, pour laquelle le SNE devra investir des sommes folles et qui n’empêchera jamais le piratage.
Quand Sébastien Rongier annonce que les verrous sont inutiles et qu’un texte numérique sera toujours piratable, certains auteurs dans la salle semblent s’alarmer, mais l’écrivain Camille de Toledo les engage se renouveler, afin de donner une réalité à leurs livres numériques : « Le livre, perdant l’aspect de codex, devient autre chose. Il faut donc modifier nos pratiques d’écritures et faire des livres numériques spécifiques, que l’on pourra faire valoir à l’éditeur ».
Le temps de la concertation, le temps de l'action
Paul Fournel suppose qu’avec le temps, le livre numérique prendra certainement la forme d’une bibliothèque publique. Bibliothèque universelle, il faudra peut-être payer une somme initiale, sa « carte d’abonnement », pour pouvoir télécharger librement comme on emprunte à la bibliothèque de son quartier. Qui a parlé de licence globale ? Un système qui ne serait d'ailleurs pas éloigné de la gestion collective pour la zone grise... (notre actualitté)
Hervé Le Tellier quant à lui, pense qu’il faut inventer un nouveau système de rémunération. Il explique que l’on pourrait, par exemple, proposer au lecteur sur le site internet de cliquer pour faire un don à l’auteur, s’il a aimé son texte. Ces donations seraient minimes (peut-être un ou deux euros), mais multipliées par le nombre de lecteurs, cela pourrait vite équivaloir aux droits d’auteurs actuels. Et plus encore ! Il s’agit donc de s’ouvrir à des pratiques complètement différentes de celles existantes. Tant dans la vente, que dans la création.
En dépit de ces quelques idées, on n’aura pas encore trouvé la solution à ce problème complexe. Mais les discutions ne font que commencer. L’assemblée touchant à sa fin, Hervé Le Tellier fait un court bilan : la priorité pour le moment, c’est que les auteurs réclament des contrats séparés et à durée limitée, afin de protéger leurs droits.
Puis les auteurs se sont mis d’accord pour proposer plusieurs lettres, à l’image des cinq premières qui sont à l’origine du débat. Et des signatures massives de celles-ci, afin de « montrer que l’on a du poids ».
Ils ont aussi donné un nom à cette mobilisation : on parlera désormais du Collectif du quatre février.
On peut également retrouver l'intégralité des tweets diffusés durant cette conférence.
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