ANALYSE – Avec une nouvelle plateforme numérique et de nombreux investissements, l’édition italienne œuvre à développer sa présence à l’international. Depuis 2015, l’Italie a investi considérablement dans ce développement des industries culturelles et créatives, en particulier de l’édition. Et ce, avec un fort engagement de la part du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.
Le 02/12/2020 à 11:31 par Federica Malinverno
2 Réactions | 1 Partages
Publié le :
02/12/2020 à 11:31
2
Commentaires
1
Partages
En juin 2020 a été inaugurée une initiative très importante et novatrice, allant dans le sens d’une intensification des échanges internationaux. Elle s’appelle NewItalianBooks, une plateforme numérique qui a pour objectif la promotion de la vente de droits des livres italiens ainsi que la valorisation des activités des instituts culturels et des ambassades à l’étranger.
Un outil de prospection indispensable donc pour les éditeurs à la recherche de nouveaux livres italiens et un grand vecteur de la culture italienne dans le monde. Voici comment cette initiative est née et ce qu’elle signifie dans le projet d’expansion italienne.
Le décret Cura Italia (17 mars 2020) prévoyait déjà certaines mesures en faveur de l’internationalisation du secteur éditorial : l’augmentation des fonds pour l’achat de livres italiens pour les écoles italiennes, les départements de langue italienne, les bibliothèques, les instituts culturels italiens, ainsi qu’un dispositif de soutien à la promotion de l’édition italienne à l’étranger.
Il s’agissait d’un fonds à allouer aux maisons d’édition à l’étranger voulant traduire des livres italiens.
Dans ce cadre, un appel à des contributions extraordinaires pour la traduction a été lancé, et des éditeurs de pas moins de 41 langues différentes y ont répondu. Au total, un fonds de 400.000 euros a été mis à disposition : des éditeurs étrangers ayant acheté les droits de livres italiens entre le 1er juin 2020 et le 25 septembre 2020 ont pu en bénéficier.
La sélection a eu lieu en octobre 2020 et le résultat peut être consulté sur le site web du ministère des Affaires étrangères. 238 contributions ont été effectuées.
Paolo Grossi est l’initiateur de NewItalianBooks ainsi que le responsable du projet du côté du Ministère des Affaires étrangères. Il nous raconte la naissance de l’initiative : « Il y a 8 ans, j’étais directeur de l’Institut italien de culture à Stockholm, où nous avons créé la revue CARTADITALIA, avec le but de présenter de nouveaux auteurs italiens. »
Les numéros contenaient en effet des extraits de livres italiens traduits en suédois ainsi que présentés directement en italien. Ensuite, de ce projet est né une version web, et la fondation Arnoldo e Alberto Mondadori (née en 1979 pour conserver la mémoire de cet éditeur) s’y est intéressé : « C’est ainsi que Books in italy a vu le jour en 2014 », rappelle Grossi.
Il s’agit d’un projet différent par rapport à l’actuel, mais qui constitue un précédent important : « Les éditeurs n’avaient pas accès gratuitement au site, bilingue italien anglais, mais devaient acheter des espaces promotionnels, et, même avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères et de celui de la Culture, en fin 2017 le projet a échoué. » Les objectifs et l’esprit du projet étaient similaires à NewItalianBooks, mais des difficultés de financement et un modèle qui ne prévoyait pas la gratuité ont marqué l’arrêt de l’initiative.
Paolo Grossi n’a pas cessé de chercher à mettre en œuvre son idée : « Entre 2018 et 2019, j’ai tenté de faire revivre cette expérience à travers Treccani Editore, qui a créé un site qui bénéficie du soutien du Cepell [Centre pour le Livre et la Lecture, un organisme autonome au sein du Mibact, le Ministère des Biens et Affaires culturelles et du Tourisme]. »
Comme nous explique l’initiateur de NewItalianBooks, le propriétaire du site est donc l’éditeur Treccani, renommé pour être à l’origine de la plus célèbre encyclopédie en italien, et qui aujourd’hui publie des essais et est un acteur culturel important. L’AIE (Association des éditeurs italiens) participe elle aussi à l’initiative à travers un soutien promotionnel, aux côtés de deux financeurs publics, le Mibact et le Maeci (ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale).
« Ce qui est nouveau par rapport à l’expérience précédente — souligne encore Grossi — est que les éditeurs ont un accès gratuit à tout. Ils peuvent charger des fiches de livres, qui doivent être obligatoirement rédigées en italien et en anglais, et notre rédaction se charge de la révision et de la mise en ligne. » De plus, le site est bilingue, en anglais et en italien.
« Le contexte particulièrement favorable de la pandémie » a permis au site d’obtenir dès le début une bonne résonnance : au moment où le Salon du Livre de Turin et toutes les principales manifestations ont dû migrer sur la toile et inventer de nouveaux formats, le projet numérique NewItalianBooks semblait particulièrement adapté aux exigences des éditeurs.
Qui, d’ailleurs, comme nous le confirme Grossi, ont bien réagi à la proposition : « Plus de 1000 livres sont actuellement sur le site, avec plus de 200 maisons d’édition adhérentes », dont des maisons indépendantes comme 66thand2nd ou des maisons appartenant à des groupes éditoriaux (Einaudi, Mondadori…).
NewItalianBooks « est un instrument de projection de l’édition italienne à l’étranger et ses destinataires idéaux sont donc les éditeurs étrangers », qui peuvent trouver dans le site tous les contacts nécessaires pour accéder à l’achat de droits (listes de contacts d’éditeurs, d’agents, de traducteurs, d’organismes institutionnels). Paolo Grossi nous a expliqué l’articulation du site : « Les fiches des livres sont divisées par genre : fiction, non-fiction, livres pour enfants et bande dessinée, qui, avec le secteur des livres jeunesse, est l’un des plus vendus à l’étranger. »
Il existe également une série de sections approfondies pour se plonger dans l’univers culturel italien : Enquêtes et Entretiens — toujours sur la situation du livre italien dans le monde — et la section intitulée Dans d’autres langues, « composée par des micro-essais illustrant les traductions étrangères d’un auteur italien », instruments indispensables pour étudier la diffusion de ces auteurs dans le monde.
L’Italie, au contraire de la France, ne dispose pas d’un seul bureau international pour la diffusion de sa production éditoriale à l’étranger : il existe néanmoins 84 bureaux à l’étranger qui œuvrent à cet objectif, les instituts italiens de culture. Ils offrent un grand soutien à l’industrie italienne de l’édition en agissant sur le territoire étranger : par exemple, ils s’occupent de la participation aux foires internationales. Ils ont donc un rapport privilégié avec les éditeurs locaux et alimentent la section Actualités de la plateforme.
Parfois ils promeuvent directement la littérature italienne à travers leur activité éditoriale : on peut mentionner, à titre d’exemple, la collection publiée depuis plus de quinze ans par l’Institut culturel italien de Paris : les Cahiers de l’Hôtel de Galliffet. Une collection d’études et de textes de la littérature italienne, qui au départ rassemblait des textes de conférences et colloques et maintenant publie des titres de la littérature italienne indisponibles en France et parfois aussi en Italie. Créée en 2003 par Paolo Grossi, qui la dirige encore aujourd’hui, elle atteindra cette année le cap des cinquante premiers titres.
De nouvelles initiatives se préparent pour enrichir la plateforme : « Parmi les nouvelles sections du site, on a imaginé des expositions virtuelles de couvertures de livres italiens traduits », affirme Grosso.
Une première exposition sera consacrée aux couvertures de Pinocchio de Carlo Collodi (1883) — le livre italien le plus traduit dans le monde — et l’initiative se révèle particulièrement intéressante, car elle donne un aperçu de comment chaque titre est interprété différemment selon la sensibilité — éditoriale et culturelle — de chaque pays. « Nous pensons à quelques expositions virtuelles par an. Nous en préparerons une sur Tabucchi et une autre sur Calvino, en 2023, pour le centenaire de sa naissance », nous précise-t-il.
Cette initiative constitue une réelle avancée en ce qui concerne la diffusion à l’étranger de la production éditoriale italienne. Cependant il ne faut pas oublier la situation italienne dans sa globalité, notamment le retard qu’elle doit rattraper en matière de promotion internationale. La France, par exemple, est définie par Grossi comme « un modèle d’excellence », doté de deux institutions, le CNL (Centre National du Livre) et le BIEF (Bureau International de l’Edition Française) qui « donnent un grand coup de main pour l’exportation de livres français, contribuant aux frais de transport ».
En somme, conclut Grossi, « les livres français à l’étranger bénéficient d’un soutien beaucoup plus important que les livres italiens ». Il ajoute ensuite : « Nous avons interrogé quelques libraires italiens à l’étranger et ils nous ont dit qu'ils, pour certains aspects, se sentent laissés à eux-mêmes. Par exemple, il existe une demande considérable de livres italiens en Amérique du Sud, mais le transport augmente trop les coûts. »
Un dispositif de soutien à l’exportation du livre italien pourrait donc être une des prochaines mesures à adopter en faveur de la circulation internationale de ce dernier.
Paolo Grossi nous a donné enfin quelques importantes précisions sur comment l’Italie se prépare au Salon du Livre 2022, où elle sera le pays invité d’honneur : « Pour 2022 il y aura une version française de la plateforme NewItalianBooks. Il est à l’étude un mécanisme spécial de soutien aux éditeurs qui signeront des contrats avec des éditeurs français, qui facilitera les échanges entre l’Italie et la France. »
Une nouvelle période fertile et propice aux échanges entre France et Italie se profile, et l’Italie est en train de se préparer au mieux pour ce nouveau flux d’échanges éditoriaux.
2 Commentaires
Traduttore traditore
03/12/2020 à 07:08
En tout cas, en jeunesse, le problème n'est pas d'importer l'excellentissime base de livres des auteurs italiens. C'est tout simplement qu'il existe un gap insurmontable entre le niveau de base d'un « petit » Italien et d'un petit Français.
Dès son plus jeune âge, un Italien se confronte à la richesse culturelle de sa langue et abordent tous les temps et les modes, se piquant à la joie du subjonctif dans toutes sa déclinaison. Tous les romans jeunesse, dès 7 ans, se déroulent donc au passé-simple et déploie les nuances du subjonctif. Plus tard, orné d'une solide culture classique, aux références incontournables gréco-latines, mais aussi musicales, un ado italien lit des œuvres inaccessibles à bien des adultes en France.
Bref, toutes ces pépites resteront terra incognita en France, car le niveau a tellement baissé en jeunesse qu'il est tout simplement devenu incompatible (à moins de charcuter tout ce qui fait l'œuvre et donc autant écrire de la jeunesse directement en France, comme on sait si mal le faire...).
Yann Kerlau
06/04/2021 à 10:12
J'ai beaucoup d'estime pour Paolo Grossi que je connais depuis de longues années. Le travail remarquable qui a été le sien tant en Suède qu'en Italie en fait un interlocuteur de grande qualité pour la France. Ses cahiers de l'Hôtel de Gallifet en sont un exemple. Bravo à tous pour ce projet qui, j'en suis certain, sera un grand succès. Yann Kerlau