Ce prix souhaite combler un manque dans l'univers littéraire français : réunir des personnalités d'environnements et horizons hétérogènes - des critiques littéraires, des journalistes et des écrivains consacrés, comme le veut la tradition des prix littéraires français, avec des universitaires, des scientifiques, des médecins autour d'un même dessein : plaider en faveur de la recherche scientifique sous tous ses aspects et du progrès humain. Ce Prix aurait dû être normalement remis au Procope pour sa première édition le 20 novembre dernier. Le Collège littéraire de 24 personnes souhaitait récompenser l'essai « Éclats de voix » de David le Breton. Cependant, une vague de démissions d'une dizaine de ses membres et du principal partenaire du Prix – l'université René Descartes- à 5 jours de sa célébration sont venus tristement ternir l'épilogue fameux de ce premier grand rendez-vous entre littéraires et scientifiques. La raison de ces défections, et de cette consécration torpillée en plein vol ? La présence d'un homme : Maxime Brunerie.
Le 12/01/2012 à 08:02 par Clément Solym
Publié le :
12/01/2012 à 08:02
Ou plus exactement, la compréhension particulièrement tardive par certains de l'identité de Maxime Brunerie, le « vrai » Maxime Brunerie, « celui qui avait tenté d'assassiner Jacques Chirac en 2002 », pas un être virtuel, ni un sosie (!), ni un homonyme, comme certains, parmi les soutiens et les détracteurs, se sont sincèrement plu à l'imaginer. Figurez vous que j'ai, en effet, commis le crime de lèse-majesté de solliciter Maxime Brunerie, cet ancien détenu qui a purgé sa peine, cet ex-« facho » repenti, d'appartenir à mon jury, après l'avoir rencontré au Salon du Livre en mars 2011, sur le stand des éditions Denoel. Des mails individuels et/ou collectifs furent adressés à tous les membres du Collège sans exception dès le 11 août, date à laquelle Maxime Brunerie a rejoint le Jury, mails postés ce 11 août entre 23h02 et 23h06, le 18 août à 19h15 et à 19h23, le 28 août à 10h46, le 02 octobre à 22h17, le 30 octobre à 10h57, tous ces courriels ont circulé dans les boîtes respectives des uns et des autres sans que personne ne s'émeuve de trouver aussi l'adresse mail de Maxime Brunerie et ne me pose aucune question à son sujet. Je ne finirais pas cette année mouvementée sans dire combien ma passion pour la littérature et les écrivains va bien au-delà du regret qu'a suscité le relief inédit de cet événement au sein de notre milieu littéraire, de cette cascade de démissions pour le moins affligeantes, pour ne pas dire indignes, qui a signé le fiasco de cette première édition.
Je sais que la vie littéraire est faite de ces incidents-là, de ces colères, de ces imbroglios et quoi qu'il en soit, j'assume parfaitement mes choix. Au-delà du respect de la liberté que je dois à chacun, j'aurais aimé croire à l'hypothèse d' un gigantesque malentendu. J'aurais aimé chasser d'un revers de la main le grotesque de la situation – prendre une personne pour une autre -, évoquer l'anecdote avec humour et m'en tenir là.. Ce n'est pas si simple : dès l'envoi de la lettre d'invitation et sa réception le 11 novembre par tous, l'hallali savamment orchestré, à partir du 14 au soir, a fait régner ici et là un climat odieux, et l'atmosphère extrêmement malaisée du buzz autour de l'événement ainsi que ses proportions invraisemblables furent regrettables.
À l'avenir, je ne suis pas prête de supporter davantage l'inquisition menée tambour battant, les raideurs inappropriées de quelques-uns, les crises d'autoritarisme des donneurs de leçons de morale, la mise en scène narcissique d'auteurs outragés par leur propre négligence, - ne pas avoir ouvert les pièces jointes ou lus les courriers - le grand défouloir général à mon encontre, les cris d'orfraie et les atermoiements poussifs des pérorés, ainsi que toute attaque en règle incessante à l'égard de Maxime Brunerie dès que sa silhouette se profile quelque part.
Mon point de vue est que quelques-uns des démissionnaires absents aux trois comités de lecture, ne sont que trop conscients de s'être ridiculisés en trahissant leur spectaculaire laxisme. Se sentant coupables, certains ont décidé de me sacrifier, comme ils ont sacrifié Maxime Brunerie, en se drapant dans un antinazisme artificiel. Je crois cette affaire parfaitement révélatrice de la mentalité d'une bonne partie de l'intelligentsia parisienne, qui ne se soucie, en grande majorité, que de sa réputation, de ses ambitions, de ses postures publiques et médiatiques, et ne se nourrit que d'opportunismes. Comment s'étonner alors du comportement délétère de ces individus, égotistes à souhait, incapables d'altérité, aussi novices dans la compassion qu'experts dans la malveillance.
Quel parfait éclairage que ce diable d'incident sur les ségrégation et discrimination silencieuses et rampantes, sur la dimension de l'âme humaine, l'épaisseur de la probité, la profondeur de l'intelligence, l'ouverture de l'esprit de toute cette bien-pensance ! Je détesterais toujours ces sortes d'exclusion passivement criminogènes, et je vous souhaite un jour de les vivre, vous comprendrez à quelles sortes d'extrémités elles peuvent conduire. Mais revenons aux faits : Maxime Brunerie a donc écopé en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire d'insupportables diffamations discriminatoires de la part de ceux qui écrivirent en le ciblant « je souhaite démissionner de l'endroit où siège Maxime Brunerie». Connaîtrais je encore beaucoup de personnes à qui on infligera cette succession de sanctions ?. Rejets incessants, sanction de la double peine, voilà ce qu'on réserve à cette personne en demande de réinsertion.
« Partout où tu iras, tu seras conspué, honni ». « Partout où tu iras, nous te rejetterons ». « Tout ce que tu entreprendras sera réduit à néant : la faute à ton passé ». Voilà en substance ce que dit la belle bande de salopards prêts à brûler le premier étranger qui passe, ou qui tire, à vue, à boulets rouges. Comprenez bien que les raisonnements qui interdisent un autre regard empêchent la réinsertion, de même que l'ostracisme est condamnable du seul fait qu'il encourage la récidive. Inquiétant, ce sérail littéraire. Effrayant ce Cahier des charges, improbable, inauguré pour lui seul, et qui rendrait impossible le fait que son nom puisse côtoyer les autres. Constat sidérant : dans un pays où on s'évertue à convaincre les chefs d'entreprise d'embaucher d'anciens détenus pour faciliter la réinsertion sociale, voilà de sombres individus qui refusent de côtoyer un vrai repenti de peur d'égratigner leur notoriété d'aquarium. Quel exemple.
L'identité de mon ami Maxime Brunerie n'a donc jamais été tronquée. Plus les jours passent, et plus je m'étonne encore de cette extraordinaire «découverte » subite, explosive. Incroyable. Maxime Brunerie était présent en août, en septembre, en octobre. Il n'est pas venu aux trois Comités de lecture pour jouir d'une estrade médiatique, qui lui aurait donné de la visibilité, - les conséquences de l'imbroglio disent d'ailleurs tout l'inverse- mais pour parler, avec d'autres littéraires, de livres lus. A ceux qui supputent tout et n'importe quoi, je dis que, pas davantage, -cela va de soi-, je n'ai voulu dissimuler sa personne, ou duper quiconque. Et quelle erreur de jugement, quelle provocation aurais je commises ? Je ne vais pas m'auto-flageller pour le plaisir, en inversant le calendrier des situations vécues. J'ai réellement le sentiment d'avoir été transparente, sans avoir commis ni maladresse, ni faute morale, - la faute morale me semble du côté des démissionnaires, qui rejettent l'autre à tout crin - en choisissant de l'intégrer dans ce Collège où, en tant qu'auteur et romancier en devenir, il poursuit la conquête de sa légitimité et où son abord «atypique» ne fait pas de lui un moins bon lecteur.
Maxime Brunerie publiera bientôt un autre roman avant la fin de l'année et une nouvelle dans la prochaine revue Bordel de Stéphane Million en mai. Par ailleurs, si les jurys littéraires doivent être uniquement composés de professionnels du livre, on a peine à comprendre pourquoi aucun écrivain, libraire, bibliothécaire ne figure dans le dernier jury de Pierre Leroy sans que personne, sauf Raphael Sorin, n'y trouve à redire. Dans le même ordre d'idées, on me permettra d'être interpellée par la présence de chanteurs, d'acteurs de cinéma, d'ex-ministre (ni écrivain, ni journaliste ou critique littéraire) dans les jurys tournants des années précédentes de quelques autres (envers lesquels je ne nourris aucune animosité).
En ce qui concerne le Collège du Prix du Savoir et de la Recherche, de la même façon que nous ne nous sommes pas consultés afin de savoir si nous avions tous envie de partager ces moments littéraires ensemble, il est exact que je n'ai aucun consentement quelconque écrit, une parafe, une signature certifiant que chacun de nous tous était d'accord pour discuter avec son voisin, il est tout à fait exact que je n'ai pas cherché à recueillir l'avis des uns et des autres sur toutes cohésions, au sein de ma commission, celle de Maxime Brunerie y compris. Mais il ne saurait y avoir deux poids, deux mesures : s'il faut se réunir constamment, pour se frôler, se ressentir, s'adopter, se sonder, savoir si l'on a envie de nourrir des échanges ensemble, voter en permanence, organiser des consultations, procéder à des réformes contractuelles, établir des hiérarchies, imposer un règlement intérieur, définir – au point où on en est – une limite d'âge, être bien sous tous rapports, avoir une conduite exemplaire, imaginer quelqu'un qui s'occuperait même du recrutement, démontrer une rigueur incroyable et permanente au niveau de l'intendance, alors, il faut sans doute revoir l'organisation élitiste de tous les prix littéraires professionnels de France. Car voilà où le bât blesse : ce n'est pas tant le fait qu'il n'ait pas fait ses preuves, Maxime Brunerie, ou qu'il ait appartenu à l'extrême droite qui pourrait expliquer un tant soit peu l'objet des ressentiments exprimés, non, c'est, après avoir longuement réfléchi sur la véracité des motivations des démissionnaires et le fond de l'affaire, la crainte de se retrouver avec une personne dont on a décidé qu'elle demeurerait toujours infréquentable, qui a provoqué le séisme.
Une persona non grata ad vitam aeternam, un martyr sacrificiel, un paria, entouré de toutes les mystifications, alors que c'est AUSSI un individu comme lui, en quête d'élévation, qui donne toutes ses lettres de noblesse à un Prix tourné vers l'avenir. Je ne vous laisserais pas en faire un banni. Un banni de la caste à laquelle on peut tout de même imaginer qu'il appartienne un jour, tant son intelligence est pointue et son verbe haut, un banni à qui on demanderait toujours des efforts supplémentaires. Voilà l'une des raisons pour laquelle il m'a semblé juste de ne pas isoler cette personnalité. J'affirme que j'ai pris soin d'elle, en la considérant sans différence, en cherchant à la mettre sur le même pied d'égalité que mes autres invités. Mes contradicteurs me reprochent d'être demeurée sibylline : sans doute n'est-ce pas un tort de n'avoir jamais abordé un seul homme à rebours de sa vie, en lui demandant de justifier son passé. J'ai considéré cette personne de façon anodine parce que précisément, Maxime Brunerie est une personne ordinaire. Alors qu'il est en pleine résilience, en quête de rédemption, en désir de réinsertion, évoquer «le cas psy», c'est encore et toujours « a-sociabiliser », marginaliser davantage l'individu en soulignant son handicap.
Quant au fait de notifier son passé houleux ou d'y revenir sans sa présence, comme on me l'a suggéré, alors que lui-même y avait succinctement consenti à deux reprises en parlant de son « récit autobiographique » considérant sans doute que cette présentation sommaire suffisait, c' était à mon sens pratiquer une forme de dénonciation méprisable et honteuse, en fournissant des informations à son insu. Que fallait-il donc qu'il fasse, Maxime, pour dissiper le malaise ressenti et inexprimé par certains à la suite des deux comités de septembre et d'octobre ? Que fallait-il donc qu'il fasse de plus alors qu'il était bel et bien présent et que chacun (e) était à même de lui parler, de lui poser des questions ? Qu'y puis-je si cette identité était entourée de mystère sans que les frileux ou les timorés aient cherché à l'entrevoir ? Et si la personnalité ténébreuse de cet homme était tellement éclatante, comment expliquer que certains autres, sans réserve ni méfiance, lui aient laissé leur carte de visite ?
A l'heure où il est toujours de bon ton de crier haro sur les réseaux sociaux et les internautes, où on se hasarde maladroitement à narrer les liens pervers entretenus pas ceux-ci avec la réalité, où l'on moque la notion d'invisibilité et la rapidité des interactions de la plateforme, sans oublier, n'est-ce pas, ( !) les ravages atroces pour le cerveau, on me permettra de m'interroger et de réfléchir sur le peu de cas précisément que suscita la visibilité de la personne Maxime Brunerie, sur ce nouveau visage, sur cette voix, cette personne réelle, cette nouvelle présence dont on aurait finalement souhaité qu'elle surprenne davantage !. Comment se représenter un nouveau visage ? En quoi consistent ses rapports avec notre sentiment d'identité ? Le visage peut représenter l'identité, mais n'est jamais identique. Nous savons à quel point nos visages changent, et nous cherchons à donner des significations à ces changements.. Cela soulève la grande question : en quoi consiste la reconnaissance ? Qu'est-ce que se reconnaître ? Quand on se reconnaît, en quoi consiste la connaissance que nous exprimons ?
Or, pas une soirée avec Maxime ne laissa transparaître quelque singularité quelle qu'elle fût, quelque étonnement, quelque mouvance, quelque reconnaissance de part et d'autre et ce constat consternant rend sans doute encore plus étrange les postures alarmistes après-coup de quelques-uns sur la présupposée peur que sa personnalité pouvait laisser transparaître. Maxime Brunerie, bien que vu, regardé, demeura bel et bien invisible et méconnu, un peu comme un individu qui débarque incognito. À l'égal de tous, il est reparti, comme il est venu, sans jamais avoir dérangé quiconque. Encore une fois, ce n'est pas faute d'avoir manqué de se présenter, ce qu'il fit à deux reprises. La difficulté ? Juste essayer de comprendre que les représentations de soi ne doivent pas trop s'écarter des manières dont les autres les perçoivent. Maxime fût perçu telle une apparence fantasmée, une évocation vague, d'où l'obstacle et le conflit. Ce n'est pas simplement celle de notre apparence extérieure, pas davantage celle de notre apparence à nous même, mais la totalité de ce que nous sommes, de ce que nous avons été, de ce que nous deviendrons, de ce que nous espérons, de ce que nous craignons. Cette représentation doit faire place à la totalité de notre expérience, tant du monde extérieur que du monde intérieur des émotions et des fantasmes, puisque ces derniers agissent inéluctablement sur nos perceptions, et que nos perceptions créent le monde.
On se souviendra de toutes les traces mnémoniques suivies par Proust, qui se cherche dans ses milliers de fragments de sentiments, de souvenirs, de perceptions, de scènes imaginaires. Ma première idée est que si nous nous trouvons tous pris dans des conflits dont la défense ne passe pas par l'apparence entre le désir d'être reconnu et la peur ou l'angoisse d'être exposé, vu, mal vu, mal aimé, incompris, il semblerait que ce soit pourtant cette première vision de l'autre, qui nous renseigne sur les perceptions du monde extérieur, et sur nos sentiments les plus intimes et les plus intérieurs.
Ma seconde idée est que les démissionnaires n'ont eu ni l'envie ni la capacité de reconnaître immédiatement Maxime Brunerie, dépassés par le vil sentiment de honte que son nom leur a suggéré. Il existe un lien puissant entre apparence et identité, qu'il est impossible d'approfondir sans passer par la honte. De tels sentiments rappellent les paroles de Garcin dans "Huis clos" de Sartre. Quand on se sent dépendant des autres pour sa propre identité, mais incapable de voir en eux aucune similitude avec soi-même, quand on se sent étranger, aliéné aux autres, mais qu'on se rend compte en même temps que sans eux on n'est rien du tout, on est pris par des sentiments de colère et de désespoir. Dans ces circonstances, on est isolé avec son désespoir, envieux de ceux qui arrivent à faire des liens, mais angoissé par sa propre incapacité, méfiant de tous rapports humains puisqu' ils font si mal, honteux devant ses propres manques, et incapable de trouver un sens fiable de l' identité sur lequel s'appuyer». Notre concept de la honte désigne un sentiment de malaise et un désir de se cacher, d'éviter les regards critiques ou désobligeants de la part des autres devant qui nous nous sentons coupables ou disgraciés, d'où le repli, la rupture que fut l‘acte de démission. Fuir, disparaître, partir, pris d'une compulsion de se cacher et de se couvrir doublement, rien à voir ici avec une quelconque notion de courage.
Car les processus défensifs pour cacher la honte révèlent la honte de notre honte, qui, elle aussi, doit être cachée du regard des autres. La honte, aveu de lâcheté, donne une réalité. Sans la honte qu'il suggère à certains, Maxime Brunerie ne reste que spectral et sans existence. C'est une douleur insupportable. Et pour le bourreau, et pour la victime. L'enfer c'est les autres parce que les autres nous empêchent de nous imaginer tout seul ; ils ne nous voient pas seulement comme ils nous voient, mais aussi comme ils nous imaginent, tout comme nous nous voyons en tenant compte de leurs perceptions imaginaires. Dans ce processus de balancement, entre voir et imaginer, les autres, à condition de pouvoir assumer notre honte, nous imposent notre humanité, imposent une sensibilité aux rapports humains, et imposent enfin des possibilités de sentir les tragédies et les joies de notre vie. L'Identité se fait des milliers et des milliers de fragments, de morceaux expérience, qui ne se lient, qui ne se mettent à former un ensemble que si la personne en question possède la capacité de s'imaginer. Dans le cas précis du Prix du Savoir et de la Recherche, les désoeuvrés, en expérimentant de façon conflictuelle ce concept de la honte, n'ont pas seulement manqué d'humanité, mais de vision et d'imagination. Or, sans apparitions, perceptions, débordements, chimères, divagations, révélations, simulacres, vues, mirages, intuitions, rêveries, illusions, flux et reflux de l'esprit, qu'est un écrivain ?
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