Alors, Bercy aurait dans l'idée de réduire de moitié l'abattement fiscal qui profite aux sociétés et entreprises, dans le cadre de leur politique de mécénat ? C'est qu'il faut bien les trouver, les quelques 29 milliards € de niches fiscales dont François Hollande, le candidat, avait promis la disparition. Et à ce titre la publication prochaine du rapport de la Cour des Comptes, ne manquera pas de faire revenir, dans le cadre du Budget de la Culture, sur la question du mécénat. Une fois n'est pas coutume, n'est-il pas ?
Le 23/06/2012 à 16:34 par Clément Solym
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23/06/2012 à 16:34
En effet, prévu pour cette semaine, une petite période supplémentaire de délais a été imposée pour la publication de l'audit et du rapport de la Cour. Et pour cause : le sommet européen qui intervient les 28 et 29 juin prochains pose un léger souci, et selon Les Echos, il faudrait maintenant s'attendre à une parution pour le 2 juillet. Voire le 3. Et ce même 3 juillet, Jean-Marc Ayrault, le premier ministre a prévu de faire un discours, qui précédera la présentation du collectif budgétaire du Conseil des ministres - qui se tiendra le lendemain. Pour mémoire, c'est également à l'occasion de ce collectif budgétaire que le retour à une TVA de 5,5 % pour le livre devrait être mise en place. La semaine va être dynamique...
La Cour des Comptes fait des miracles
Il faut également se souvenir que la Cour des comptes avait, fin mai, mis tout l'État en garde, incitant à une « vigilance accrue à exercer sur quatre éléments dès 2012 », à savoir, les dépenses de personnel, concernant la masse salariale de l'État, les dépenses fiscales, les dépenses d'intervention et le financement des opérateurs de l'État.
Souvenons-nous ensemble : « Dans ses constats et ses recommandations, la Cour souligne que la maîtrise des dépenses budgétaires et fiscales passe par une stratégie de réduction ou de suppression des dispositifs les moins efficaces, étayée par l'évaluation régulière de leur performance. En effet, les règles transversales et forfaitaires de réduction des dépenses, du type « norme de dépense » ont montré leur utilité, mais aussi leurs limites pour respecter la trajectoire de réduction des dépenses et du déficit affichée par la loi de programmation des finances publiques. » (voir)
Donc, gare au gorille, pourrait chanter Brassens, sur une tout autre mélodie.
Notons également dans le cadre de l'examen des résultats et gestion budgétaire de l'exercice 2011, quelques points intéressants, ayant trait à la Culture. (source) Ainsi, on pouvait lire dans l'analyse de l'exécution du budget de l'État pour la mission Culture
Recommandation n° 4 : Afin de donner une image des dépenses fiscales rattachées à la mission Culture plus exhaustive, la Cour recommande au ministère de la Culture et de la Communication de se doter des moyens de quantifier et d'évaluer le mécénat culturel.
Nous y voilà... On notera donc bien tout l'intérêt de mesurer les envies de Bercy à l'aune des préconisations de la Cour des comptes. Sait-on jamais, si l'on n'en retirait pas d'intéressantes solutions . Or, il faut tout de même que le candidat devenu président conserve un peu de cohérence.
Filippetti contre Bercy
L'histoire du mécénat devient donc un centre d'intérêt farouche, où Bercy et la rue de Valois se retrouvent dos à dos, sans que pour l'heure, le premier ne soit intervenu. Il est cependant bon de rappeler que la mesure préexistait dans le programme de Hollande, sans être explicitement détaillée - eu égard aux fameuses niches fiscales, donc.
Aurélie Filippetti avait pour sa part posé la problématique fort simplement, la semaine passée : « Les entreprises donnent chaque année deux milliards d'euros et les particuliers trois milliards. La France a la chance depuis 2003 de disposer d'un système fiscal qui les encourage à s'engager. Le mécénat a été multiplié par cinq depuis. Cette aide, qui n'entend pas se substituer au soutien public, est une chance pour l'intérêt général et non une menace. Sans elle, nombre de projets n'auraient jamais vu le jour dans l'éducation, la santé, l'environnement ou l'accès de tous à la culture ». (voir notre actualitté)
Bercy, (Philippe Berdalle, Flickr)
Sauf que... si l'on prend le calcul à la racine, tout porte à croire que pour réaliser quelques millions d'économies, une telle mesure de réduction de l'abattement fiscal aurait pour conséquence de multiplier le manque à gagner, et il reviendrait à l'État de compenser ces pertes...
Les déductions ne sont pas un cadeau fait aux riches
Enfin, d'autres réactions sont également venues,notamment avec cette pétition en ligne, lancée par ADMICAL, le Carrefour du mécénat d'entreprise. Un peu moins de 1900 signataires, un texte qui prêche pour sa paroisse, avec des exemples bien ciblés.
Une niche fiscale de plus ? Surtout pas. Ces déductions fiscales ne sont pas un cadeau fait aux riches, mais un moyen d'agir en commun : particuliers, entreprises, en complément des pouvoirs publics. C'est aussi un vrai levier pour que tout le monde puisse donner, et donner plus, principalement ceux qui n'ont pas une fortune à leur disposition.
L'année dernière, c'est grâce à la mobilisation de plus de 7000 particuliers aux côtés de l'Etat, avec des dons commençant à 1 euro, que la France a pu réunir la somme qui manquait pour acquérir Les Trois grâces, chef d'œuvre de Cranach, « trésor national » menacé de quitter le territoire français. Et chez les entreprises, ce sont également les plus petites qui utilisent le système fiscal : 93 % des mécènes sont des PME, avec un budget annuel moyen situé entre 1000 et 5000 eurosi. Car le mécénat ne profite pas qu'aux grosses institutions, au contraire : il bénéficie à la multitude de petits projets et de petites organisations, qui maille tout le territoire français.
Cependant, ADMICAL ne se voile pas la face, et demande une régulation et un cadrage permettant au mécénat d'évoluer « afin d'éviter des dérives qui ne privilégient plus l'intérêt général ». Et de renvoyer à la Charte du Mécénat publiée par ses bons soins. (à cette adresse)
Attention aux retombées acides pour l'Etat
Même son de cloche, chez France générosité, représentant les associations et fondations faisant appel à la générosité des particuliers et des entreprises, pour qui le coup de rabot évoqué par Bercy, n'apportera rien de bon... « En effet, les entreprises financent chaque année des activités d'intérêt général (humanitaires, sociales, culturelles, éducatives...) à hauteur de 490 millions d'euros (montant déclaré au titre de l'impôt sur les sociétés en 2009), et déduisent donc de leur impôt 294 millions (Etude France générosités-CerPhi, décembre 2011). »
Mais pas que : « Une baisse des avantages fiscaux provoquerait très certainement une baisse significative du soutien des entreprises aux activités d'intérêt général. Or, c'est avec les dons que les associations et fondations luttent au quotidien contre la pauvreté, soutiennent le logement social, les personnes handicapées, œuvrent pour la protection de l'enfance, le rayonnement de la culture, l'éducation,... »
Et de ne pas oublier de signaler qu'en cas de coupure de la manne financière des dons, de particuliers, comme des entreprises, le financement d'activités d'intérêt général prendra du plomb dans l'aile. De fait, les dons contribuent « de manière indirecte au budget social de l'État, ce qui est d'autant plus important que l'économie attendue suite à ce projet de coût de rabot serait au maximum de 150 millions ».
La messe est dite : on passe aux hosties ?
Invitée ce 21 juin, Aurélie Filippetti passe sur Radio Classique et interrogée par Guillaume Durand, la ministre campe farouchement sur ses positions. Elle « considère que le mécénat est indispensable aujourd'hui à la création », sans manquer le petit coup de bambou bien placé sur la nuque, estimant que « chaque année à Bercy, il y a comme une sorte de marronnier fiscal et comme ils cherchent des économies partout, ils tentent de grappiller un peu d'argent y compris sur le mécénat, et moi je m'y oppose, je l'ai déjà dit ».
Indispensable politique de mécénat, certes, mais surtout, indispensable intervention, au plus vie de l'État. Selon la ministre, « le mécanisme fonctionne, même s'il doit être amélioré », évoquant une charte éthique. Mais elle souhaiterait également ouvrir aux petites et moyennes entreprises, pour qui le mécanisme des seuils est loin d'être favorable. (Retrouver le podcast)
Et surtout, la ministre de la Culture insiste sur les conséquences financières pour l'État d'une telle réforme de la fiscalité actuelle, convaincue par les alertes précédemment citées.
Y'a kekchoz de pourri dans l'Royaume
Mais si certains conservateurs n'apprécient pas que les groupes privés interviennent dans la réalisation de manifestations, l'exemple de la BnF montrerait plutôt qu'il est urgent de repenser la manière dont ces sociétés s'intègrent aux établissements publics. L'espace Labo Bnf, qui profite du soutien d'Orange et de Jouve, semble faire nager l'espace dans un véritable conflit d'intérêts multirécidiviste.
On peut trouver étrange en effet que Jouve s'applique à mal numériser des ouvrages pour le compte de la BnF, et ne soit jamais sanctionné pour le qualitatif, autant que pour le quantitatif. La position de mécène du Labo BnF se charge alors de sérieux doutes... Et sans parler du poste de président de la BnF, pour lequel Christine Albanel était préssentie, en remplacement de Bruno Racine. L'ancienne ministre de la Culture partira finalement chez Orange, et le tour sera joué. Mais dans quelles conditions ?
De la même manière, il plane toujours un effroyable doute quant aux modalités d'achat des manuscrits de Casanova (7 millions €), en février 2010. C'est que le généreux donateur qui a permis à l'établissement de réaliser cette transaction, pourrait tout à fait être un des... généreux mécènes ayant quelque chose à se faire pardonner. Hélas, l'établissement est atteint de mutisme lorsque l'on sollicite un commentaire sur ce sujet, comme sur d'autres.
La balle est désormais dans le camp de Bercy, écartelé entre faire respecter les engagements de François Hollande et affronter la très médiatique ministre....
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