Chaque semaine, ActuaLitté, en partenariat avec l'association Effervescence, réunissant les étudiants et anciens élèves du Master Édition et Audiovisuel de Paris IV-Sorbonne, vous donne rendez-vous : retrouvez dans les colonnes de notre magazine une chronique, réalisée par les étudiants de la formation, racontant la vie du master et de l'association.
Le 18/02/2014 à 14:48 par Association Effervescence
Publié le :
18/02/2014 à 14:48
Cette semaine, revenons sur nos échanges avec Paul Otchakovsky-Laurens lors de la master class qui s'est déroulée en Sorbonne.
Mardi dernier, l'association Effervescence a accueilli Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur de la maison d'édition P.O.L, qui est par ailleurs partenaire de l'association. Il s'agit d'une personnalité emblématique de l'ambition de ce master alliant édition et audiovisuel : éditeur d'Emmanuel Carrère, le parrain de la promotion actuelle, Paul Otchakovsky-Laurens a en effet été président de la commission d'avances sur recettes du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) de 2010 à 2013.
Cet organisme exerce depuis l'après-guerre un rôle de soutien dans le milieu cinématographique, notamment via un système d'aides sélectives dont fait partie l'avance sur recettes, financée grâce à différentes taxes dans le milieu audiovisuel.
P.O.L., éditeur et ex-président de la commission avances sur recettes du CNC
© Clara Fizel
Un homme de lettres au CNC
Paul Otchakovsky-Laurens n'est pas le premier homme de lettres à intervenir au CNC. Avant lui, des personnalités telles que Christian Bourgois, Julien Gracq ou Dominique Aury ont pris part à la commission de l'avance sur recettes. Selon notre invité, cette importante présence du monde de la littérature au sein du CNC tient à la capacité de ses représentants, et notamment des éditeurs, à lire de manière intensive. En tant que président de l'avance sur recettes, Paul Otchakovsky-Laurens a dû lire intégralement environ six cent cinquante scénarios par an, soit la totalité des projets présentés annuellement à l'avance sur recettes. C'est donc un intense travail de lecture qui est exigé de la part du président de la commission.
Actuellement, les candidats ont par ailleurs tendance à présenter des dossiers de plus en plus fournis : les scénarios viennent souvent accompagnés de notes d'intention, de documents artistiques, de photos de repérage. Paul Otchakovsky-Laurens voit ce mouvement d'un œil favorable, car ce sont là autant d'éléments supplémentaires permettant de « nourrir l'imagination » des membres de la commission et d'évaluer au mieux la qualité du projet, ce qui est parfois difficile quand on ne dispose que d'un simple scénario. L'ancien président fait ainsi sien l'adage de François Truffaut, selon lequel un film se réalise contre le scénario et se monte contre le tournage.
Paul Otchakovsky-Laurens a fait remarquer avec humour combien le fonctionnement collégial du CNC s'opposait à sa propre expérience d'éditeur. La sélection des scénarios se fait de manière extrêmement démocratique, au contraire de celle des manuscrits au sein de la maison P.O.L qui relève essentiellement du choix fait individuellement par l'éditeur. Il loue par ailleurs le côté stimulant et excitant des discussions à plusieurs. La dimension collégiale des débats du CNC permet ainsi de tempérer la nécessaire subjectivité des jugements.
La master class s'est déroulée dans le bel amphithéâtre Cauchy
© Charlotte Monnier
Trois années à la tête de l'avance sur recettes
Ces trois années ont été marquées par un certain nombre de combats : Paul Otchakovsky-Laurens n'a pas hésité à prendre position publiquement sur certaines problématiques culturelles d'actualité… Parmi ses divers engagements se distingue la tribune publiée par l'éditeur dans Le Monde en décembre dernier, juste avant de quitter la présidence de la commission, sous le titre « Il faut défendre l'avance sur recettes », et qui s'intitulait initialement : « CNC, l'usine à fantasmes ? »Pour Paul Otchakovsky-Laurens, il s'agissait de revenir sur un certain nombre de critiques adressées régulièrement au CNC et qu'il estime injustifiées.
L'ancien président y soulignait notamment la transparence du processus de sélection mis en place au sein de l'institution. Le CNC rassemble plus de cinq cent soixante-dix membres de différentes commissions, celle de l'avance sur recettes étant constituée de plus de cent vingt-cinq personnes. La composition de cette commission a pour objectif de représenter la diversité des professions du cinéma : on y trouve des comédiens, des chefs opérateurs, des affichistes, des monteurs, des scénaristes… Selon Paul Otchakovsky-Laurens, le système collégial fonctionne efficacement, notamment grâce au renouvellement régulier et au jeu des suppléants. Les scénarios sont d'abord soumis à des comités de lecture au cours desquels les projets sont discutés de manière collective, puis à la commission plénière, durant laquelle l'avance sur recettes est accordée ou refusée après un vote confidentiel. Par ailleurs, les scénarios ajournés ont la possibilité d'être représentés lors d'une prochaine session de l'avance sur recettes.
Paul Otchakovsky-Laurens évoque aussi une « petite révolution » qui a eu lieu récemment au sein de la commission : un système d'audition a été introduit dans le processus de sélection de l'avance sur recettes. Les cinéastes candidats doivent désormais venir présenter et soutenir leur projet lors de la session plénière. Il s'agit d'une évolution majeure pour les membres de la commission de l'avance sur recettes, qui se retrouvent face à des monstres sacrés du cinéma tels que Claude Lanzmann, Jean-Luc Godard et Alain Resnais. En dépit de leur brièveté (une quinzaine de minutes), ces auditions s'avèrent intenses et bien souvent passionnantes : selon l'invité, elles permettent une « entrée dans l'intimité créatrice du réalisateur ».
Une interview menée par Angelo Cianci, responsable de l'option Audiovisuel du master
© Clara Fizel
Le CNC et la richesse du cinéma français
Le CNC se donne pour mission de favoriser la richesse, la diversité et le renouvellement du cinéma français. Comme le souligne Paul Otchakovsky-Laurens, le premier critère de sélection des scénarios est celui de la qualité, mais le CNC a aussi pour objectif de soutenir des films qui, sans son aide, risqueraient de ne pouvoir être réalisés. Ce sont donc un nombre non négligeable de films économiquement fragiles qui voient le jour grâce à son intervention.
L'ancien président de l'avance sur recettes admet que le système pourrait être réformé à la marge, notamment en ce qui concerne le cinéma de genre, sous-représenté au CNC en raison de « pesanteurs » qui amènent à privilégier certains registres par rapport à d'autres. De même, la distinction faite entre le collège « premier film » et « second film et suivant » au sein de la commission peut être considérée comme problématique dans la mesure où elle amène de tout jeunes réalisateurs à se retrouver en concurrence avec des cinéastes déjà bien installés. Toutefois, Paul Otchakovsky-Laurens estime que le CNC mène une action globalement efficace.
Selon l'éditeur, l'action du CNC n'est pas étrangère au fait que la France bénéficie aujourd'hui d'une « cinématographie vivante et diversifiée ». Notre pays produit actuellement plus de deux cent cinquante films par an, entretenant une atmosphère créatrice particulière qui sert de terreau à des réalisations exceptionnelles. De la même manière que dans le secteur du livre, la réglementation en vigueur en France dans le milieu du cinéma peut donc être considérée comme un avantage de taille, en comparaison notamment avec nos voisins européens tels que l'Italie, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Le CNC permet entre autres de déjouer le risque d'une uniformisation et tempérer la rudesse des lois du marché.
Le CNC et l'avenir du cinéma en France
Aux yeux de Paul Otchakovsky-Laurens, l'un des principaux défis que la cinématographie française va devoir affronter dans les années à venir est le défi de la chronologie des médias, qui se trouve aujourd'hui entièrement remise en cause dans sa forme traditionnelle en raison d'Internet. L'éditeur estime aussi que les films disparaissent des salles beaucoup trop rapidement, et qu'il serait nécessaire de lutter contre ce phénomène d'accélération. Il cite ainsi l'exemple d'une des œuvres récemment soutenue par le CNC : le premier long-métrage de Dyana Gaye, Des étoiles, qui a pu bénéficier d'une critique excellente mais n'a été diffusé que de manière très limitée.
Et l'ancien président de la commission de nous encourager à aller voir Des étoiles avant que ce film ne disparaisse des salles : rendez-vous au cinéma ?
La prochaine rencontre organisée par Effervescence aura lieu le vendredi 14 mars en Sorbonne. Nous accueillerons à cette occasion Emmanuel Carrère, parrain de la promotion 2013-2014, qui a notamment reçu le prix Renaudot pour Limonov, publié en 2011 aux éditions P.O.L.
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