Protéger les auteurs, mieux les informer tant de leurs droits que des dangers qui résident dans les contrats, la chose est prise très au sérieux par l’Authors Guild. Structure représentative des auteurs aux États-Unis, elle publie une série de billets sous le nom Fair Contract Initiative. Autrement dit Projet pour un contrat équitable. Dans sa dernière intervention, l’organisation évoque les abus violents de certaines clauses, introduisant une non-concurrence.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
L’idée est assez simple : un auteur ne doit pas vendre un premier manuscrit à un éditeur, en retravailler l’ensemble, et proposer cette nouvelle mouture revue à une autre maison. L'AG ne remet certainement pas ce principe en cause. De la sorte, la clause de non-concurrence est bien pensée, en ce qu’elle protège un éditeur d’une forme à peine dissimulée d’escroquerie. Mais, note l’AG, les clauses de non-concurrence débordent souvent de ce cadre, pour arriver à restreindre considérablement les possibilités d’un auteur. Voire, le bloquer.
« Aucun éditeur ne serait d’accord pour, à la demande d’un auteur, renoncer à la publication du livre d’un autre auteur sur un sujet précis. Alors pourquoi l’auteur se voit imposer une pareille restriction ? » Effectivement, la question porte en elle la réponse. C’est que les contrats américains imposent manifestement aux écrivains de ne pas s’engager sur des parutions, pour d’autres maisons, qui entreraient en concurrence avec ce qu’ils s’apprêtent à commercialiser.
Demander la permission de publier ailleurs, l'infantilisation parfaite
Une mesure déloyale, insiste l’AG, qui « peut empêcher un auteur de poursuivre d’autres opportunités d’écriture ». Prenons le cas très simple d’une universitaire, devenue avec les années spécialiste d’un auteur, et plus encore, d’une thématique propre à l’ensemble de l’œuvre. Par cette clause de non-concurrence, elle serait alors interdite de publier chez un éditeur Y des livres explorant son sujet de prédilection, puisqu’elle en a fait paraître un autre chez l’éditeur X.
Plus précisément, l’AG illustre son idée avec la thèse d’un étudiant, traitant du pétrole au Moyen-Orient. Sa thèse est publiée, et, devenu enseignant, il reçoit une offre d’un autre éditeur, pour sortir un ouvrage sur son sujet, pétrole-Moyen-Orient. Or, son premier éditeur dispose d’un droit par lequel il peut interdire cette parution – ou mieux encore, l’auteur se voit obligé de demander la permission...
De même, un auteur de fiction ayant fait grandir un personnage, dans une série de livres – mettons, un jeune milliardaire aux plaisirs sexuels assez bigarrés. Il lui serait impossible de soumettre un roman racontant, par exemple, la jeunesse de ce personnage et ses premiers pas dans le monde sado-maso ? Et plutôt que de passer deux années de procédure juridique et 150.000 $ de dépenses en avocats, l’AG recommande de modifier quelques lignes du contrat.
« Idéalement, nous aimerions voir les clauses de non-concurrence complètement occultées des contrats d’édition. Mais nous sommes prêts à accepter des clauses qui empêchent tout simplement un auteur de publier un livre sensiblement identique, ailleurs. » Autrement dit, prendre le temps de lire avec attention les clauses évoquées, et souligner que les personnages, thèmes, etc., ne peuvent pas être soumis aux dispositions contractuelles de non-concurrence.
Qu’en est-il en France ? Nous avons posé la question, mais il ne semble pas que cette clause apparaisse aussi explicitement. Dans le contrat d’édition que propose la Société des Gens de Lettres, découlant de l’accord-cadre signé en mars 2013, on n’en trouve pas trace. De fait, il ne s’agirait pas d’une clause standard, ainsi exprimée. D'ailleurs, plusieurs écrivains, sollicités par ActuaLitté reconnaissent n’avoir jamais vu ce type de clause, aussi clairement formulée.
Cependant, s’il est impossible de vendre une maison plusieurs fois, un auteur pourrait tout à fait vendre son manuscrit original à une dizaine de maisons. Pour ce faire, l’article premier du contrat d’édition souligne que la cession est effectuée « à titre exclusif ». Une exclusivité qui permet évidemment à l’éditeur de défendre les droits de l’auteur en question. Mais cela revient donc à une clause, peut-être plus stricte encore, de non-concurrence...
On nous souligne en revanche qu’il existe des dispositions par lesquelles l’auteur doit donner la priorité de ses manuscrits, à son éditeur, pour des livres qui relèvent du même genre que celui ou ceux déjà parus. La SGDL indique en effet :
Les contrats d’édition peuvent comporter une clause dite de préférence, par laquelle l’auteur s’engage à proposer en priorité à l’éditeur ses futurs ouvrages d’un genre clairement déterminé au contrat, et ce dans la limite de 5 ouvrages ou dans la limite de 5 ans.
L’auteur doit donc transmettre obligatoirement son manuscrit en priorité à cet éditeur, qui dispose d’un délai de trois mois pour faire connaitre sa décision quant à la publication du nouvel ouvrage.
Si l’éditeur refuse successivement deux manuscrits présentés par l’auteur, celui-ci ne sera alors plus lié par la clause de préférence, et pourra transmettre ses futurs manuscrits à d’autres éditeurs en toute liberté.
On trouve ainsi la mention, dans les obligations qui incombent à l’auteur, la clause dite « de garantie ». Celle-ci affirme dans un premier point que l’œuvre est originale : pas une contrefaçon potentielle ni une source d’ennuis sans fin. Elle ajoute ensuite : « L’auteur garantit également que son œuvre ne fait l’objet ni d’un autre contrat ni d’un droit de préférence consenti dans les termes de l’article L 132-4 du Code de la propriété intellectuelle, ni d’un apport de droit à une société de gestion collective et qu’il est à ce titre en capacité de signer le présent contrat. »
Le droit de préférence introduit en effet une forme de monopole, pour l’éditeur, sur les œuvres à venir d’un créateur. Et ce, sans avoir à faire jouer les enchères pour l’achat d’un manuscrit. En ce sens, l’écrivain peut apprécier que l’on ait choisi de l’attacher à un éditeur, et, s’il a connu un succès fort, qu’on le prive d’une mise en compétition entre les maisons susceptibles de s’intéresser à son manuscrit.
Pas vraiment de quoi dire que les auteurs sont mieux servis en France. Interdire d'écrire, non, mais de publier et donc de vivre de ses écrits, c'est moins évident. Toutefois, nous précise un éditeur, ce modèle serait « désuet. Les tribunaux ont établi que la concurrence ne valait, par ailleurs, que pour un genre donné (roman, nouvelles, etc.) ». Mais il semble qu'une clause sembable existe bel et bien dans les contrats pour la bande dessinée.
Mise à jour :
Voici une information plus qu’intéressante, en ce qui concerne le contrat d’édition pour la bande dessinée : une clause explicite de non-concurrence
en sachant que la durée de cession c'est = vie de l'auteur + 70 ans @ActuaLittepic.twitter.com/nS8M5mVkE9
— TANX (@TANXXX_) 29 Août 2015
Il semble que les grandes maisons BD introduisent ce type de clause assez aisément, favorisée par le fait qu'elles dépendent du droit belge.
Autre élément intéressant, que nous confirme un dessinateur de BD : « La clause de droit de préférence, par laquelle nous accordons à l’éditeur une forme de préemption, sinon de passe-droit, s’étend assez loin, si l’on ne fait pas attention. » Un autre souligne que ce droit s’exerce pour « toute œuvre de bandes dessinées reprenant les personnages principaux ou secondaires et souvent de l’univers. Personnellement, je fais retirer la référence aux personnages, et dans tous les cas, je trouve cela pour le moins flou. »
Mais en matière de non-concurrence, l’imagination contractuelle ne connaît aucune barrière, pour preuve, cet extrait de contrat :
L’Auteur garantit à l’Éditeur la jouissance paisible de l’ouvrage contre tout trouble, revendication ou éviction quelconque. En particulier, au cas où un tiers ferait néanmoins état de droits ou prétentions quelconques, portant atteinte à la libre jouissance de l’exploitation de l’œuvre par l’Éditeur, l’Auteur prendra toutes les dispositions nécessaires et à ses frais pour permettre à l’Éditeur de poursuivre l’exploitation de l’œuvre objet des présentes.
A ses frais, on pourrait avoir envie d'en pleurer. Or, on il semblerait qu’une clause interdisant de publier un livre similaire chez un autre éditeur pourrait s’apparenter à une clause de non-concurrence illégale.
Un contrat d’édition qui contient une clause interdisant à l’auteur de publier pour l’avenir, sous son nom ou anonymement, aucun ouvrage dont le titre, la matière, la teneur, les dimensions matérielles ou la présentation constitueraient une concurrence directe à celui qui fait l’objet du contrat est illicite et ne reprend pas les termes de l’article L. 132 — 8 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « l’auteur doit garantir à l’éditeur l’exercice paisible et, sauf convention contraire, exclusif du droit cédé. Il est tenu de faire respecter ce droit et de le défendre contre toutes les atteintes qui lui seraient portées ». (à retrouver sur Legipresse)
Cette jurisprudence date 2006, certes, mais à de quoi faire rire jaune ceux qui découvrent les mentions dans leurs contrats.
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