Dans les salons du Cercle Interallié, étaient remis aujourd’hui les trois prix du Femina, roman français, étranger et essai. C’est qu’avec la fermeture de l’hôtel Crillon, les dames avaient décidé de bouder l’hôtel Meurice, propriété du richissime Sultan du Brunei – et accessoirement instigateur de la charia dans son pays. Superbe.
Le 04/11/2015 à 13:11 par Félicia-France Doumayrenc
Publié le :
04/11/2015 à 13:11
Christophe Boltanski - [CC BY SA 2.0 Esther Marand]
Les récompenses ont été adressées comme suit.
Christophe Boltanski pour son ouvrage paru chez Stock, La Cache.
Quel est le secret de fabrique d’une famille pas comme les autres ? En bref : bizarre et géniale. Qui ne voudrait le savoir ? Cette famille est celle du plasticien Christian Boltanski, l’un des plus célèbres artistes au monde, du sociologue Luc Boltanski, de l’auteur lui-même qui porte en lui les traces de cet héritage : la manie du huis-clos et la préférence pour l’enfermement.
C’est d’abord l’histoire d’un homme, son grand-père, médecin juif, qui s’est caché chez lui, en plein Paris, pendant la Seconde Guerre. Dans cet « entre-deux », creusé entre les cloisons de l’appartement, on ne tenait ni debout, ni couché. Cela a duré deux ans. Il n’aurait pas survécu sans la volonté de fer et l’autorité de sa femme, « Mère-Grand », une romancière atteinte très jeune de poliomyélite.
La cache est le roman d’une famille à la gaieté excentrique et dure (inutile d’aller à l’école car les enseignants sont des « tortionnaires diplômés »), ayant un sens de la liberté réinventé (les enfants bâtissent des villes qui dévorent l’appartement, et imaginent une République où se succèdent les coups d’Etat). Lorsque l’on s’aventure dans chacune des pièces de la « Rue-de-Grenelle », on découvre un personnage après l’autre, le mystère des « Bolt » se dévoile. (en savoir plus)
Kerry Hudson, pour La couleur de l’eau (traduit par Florence Lévy-Paolini), chez Philippe Rey, reçoit le Femina étranger
Sous le charme, Dave, vigile dans un luxueux magasin londonien, laisse partir une jeune voleuse qu’il venait de surprendre. Sa journée terminée, il la découvre dehors, à l’attendre. C’est le début d’une relation complexe, entre deux êtres abîmés, chacun dissimulant un lourd passé. Comment Alena, venue avec tant de projets de sa Russie natale, se retrouve-t-elle à la rue et sans papiers ? Pourquoi Dave vit-il comme en exil à quelques kilomètres de chez lui ? Qu’ont-ils bien pu traverser l’un et l’autre pour être si tôt désabusés ?
Le parcours d’Alena, lié aux réseaux de prostitution, est chargé de compromissions, de peurs et d’espoirs étouffés. L’histoire de Dave part des cités anglaises, à l’horizon bien bas, celle d’un garçon aux rêves d’aventure, mais trop obéissant et un peu lâche. Page après page, ils s’apprivoisent, se rapprochent - en prenant soin d’éviter leurs zones d’ombre qui, bien évidemment, finiront par les rattraper.
Se gardant des clichés et du larmoyant, Kerry Hudson ne juge jamais ses personnages, elle les raconte, avec leurs fragilités et leurs faiblesses. De Londres à la Sibérie en passant par Moscou, elle tresse un récit d’une grande finesse et livre une moderne et atypique histoire d’amour. (en savoir plus)
Emmanuelle Loyer remporte celui de l’essai pour sa biographie, Lévi-Strauss, chez Flammarion
Claude Lévi-Strauss est né en 1908 et mort centenaire, en 2009, tout près de nous, lecteurs du xxie siècle. Il grandit dans une famille juive, bourgeoise, mais qui a connu des jours meilleurs. Le père est peintre, bricoleur ; le fils choisit la voie de la philosophie et du militantisme socialiste.
Le jeune agrégé part en 1935 enseigner la sociologie à São Paulo. Lors de rudes expéditions dans le Brésil intérieur, il se fait ethnologue, découvrant l’Autre indien. Les lois raciales de Vichy le contraignent à repartir : il gagne l’Amérique en 1941 et devient Prof. Claude L. Strauss – pour ne pas qu’on le confonde avec le fabricant de jeans. Cette biographie décrit l’accouchement d’une pensée d’un type nouveau, au milieu d’un siècle chahuté par l’Histoire : l’énergie des commencements au Brésil et l’effervescence du monde de l’exil européen à New York, entre surréalisme et naissance du structuralisme.
Le retour en France, après la guerre, sonne le temps de l’écriture de l’oeuvre : plusieurs décennies de labeur intense où Lévi-Strauss réinvente l’anthropologie, une discipline qui a désormais pignon sur rue et offre une nouvelle échelle pour le regard. En 1955, Tristes Tropiques en est la preuve éclatante, en France puis dans le monde entier. Au cours des années, Lévi-Strauss est devenu une gloire nationale, un monument pléiadisé de son vivant. Mais il a sans cesse revendiqué un « regard éloigné » qui lui permet de poser un des diagnostics les plus affûtés et les plus subversifs sur notre modernité en berne. (en savoir plus)
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