#Politeia23 – Un très beau plateau composé de l’ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter, Philippe Val, de l’ancien journaliste d’investigation, devenu directeur général de Reporters sans Frontières, Christophe Deloire, et du directeur de l’information et des sports de Radio France, Vincent Giret. Et une grande tâche : dresser un état des lieux du journalisme en France à l’heure des réseaux sociaux.
Le 19/03/2023 à 13:54 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
19/03/2023 à 13:54
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Philippe Val ne le cache pas : « Je suis extrêmement inquiet par ce qui va se passer dans le monde du journalisme. » Et de développer : « Je rencontre des journalistes d’importante qualité, avec plus de liberté qu’il y a 25 ans, mais le modèle industriel du secteur est très malade. » En cause, la baisse constante du lectorat et une transformation des usages.
Entre une desaffection d'une part des français, une méfiance parfois, mais d’abord un grand fautif, les réseaux sociaux qui « concurrencent les médias sans les remplacer ». Selon l'ancien patron de France Inter, le journalisme reste un métier qui nécessite « une expertise et un savoir-faire » absente de l'information virale. Vincent Giret rappelle de son côté que plus de 80 % de la publicité sur internet est captée par les seuls Meta et Google.
Face à un lecteur devant son journal, confronté au bout d’un certain temps à quelque chose qu'il n’attendait pas, le twittos et autre utilisateur Facebook est rapidement enfermé dans ces fameux algorithmes : « Ça fout en l’air la démocratie », s’exclame l’auteur du Dictionnaire philosophique d’un monde sans dieu, inquiet d’un nouveau mode de consommation généralisé et pas si ancien. L'apparition des smartphones ne date que de 2007.
Sur cette tension médias traditionnels/réseaux sociaux, Christophe Deloire, à présent dans l’action pour un développement dans le bon sens du métier de journaliste, et pour sa survit dans beaucoup de pays, en rajoute une couche : « Facebook et autres Gafam ont un pouvoir dément ! » En risque, un contrôle des contenus par trop élevé et des règles de fonctionnement des plus opaques. Toute une problématique qu’il résume par un nom : Elon Musk.
L’ancien directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ) est formel : des figures comme Mark Zuckerberg ou le nouveau patron de Twitter ont les capacités de devenir des ministères de la Vérité. Et d’évoquer la Loi Pichet qui a imposé, à la Libération, aux distributeurs de presse et aux marchands de journaux la neutralité, soit de proposer des titres de toutes les obédiences.
Face à la rivalité avec des réseaux sociaux, Christophe Deloire suggère d’offrir un avantage concurrentiel aux médias, soumis à une méthodologie et à une rigueur dont les plateformes sont exemptes.
Philippe Val voit la nécessité de faire passer ses sites, considérés comme des hébergeurs de contenu, au statut d’éditeur : « Quand j’étais chez Charlie Hebdo, et que je devais me rendre à la 17e chambre de Paris pour répondre en tant que directeur de publication, j’avais une responsabilité que les réseaux sociaux n’ont pas ».
De son côté, Christophe Deloire ne souhaite surtout pas que ces plateformes transnationales et surpuissantes se donnent une ligne éditoriale vue leur masse critique.
ActuaLitté (CC BY-SA 2.0).
Un autre nom pour évoquer ce que vit Christophe Deloire au quotidien dans le cadre de son activité actuelle, Vladimir Poutine : « Aujourd’hui, on est face à des États qui expliquent, plus vous allez parler d’une affaire, plus celui qui est prison va y rester, et c’est vrai. » Devant cette réalité, RSF cherche la discussion, ou dépose des plaintes offensives, dites de contentieux stratégiques.
Le danger pour les journalistes ne se borne pas aux pays autoritaires, voire totalitaires. Le patron de l’information à Radio France raconte que le dessinateur Riss, qui dirige actuellement Charlie Hebdo, lui confiait il y a peu que la rédaction de son journal était classée en risque maximal d'agression.
Vincent Giret rappelle la nécessité aujourd’hui, pour Radio France, d’embaucher des officiers de sécurité, non pour des journalistes envoyés à Kaboul ou Bangui, mais à Roanne, Amiens, Toulouse... « J’ai sur le cœur cette défiance des journalistes, en danger dans certaines manifestations, comme celles organisées par les antivax ou précédemment les gilets jaunes ».
Vincent Giret identifie quatre grandes ruptures en deux décennies : technologique, aussi rapide que massive, au niveau des usages, et de la multiplication des informations, entre possibilité d’une liberté d’expression et la cacophonie entre le sérieux et le délirant : « Une réalité commune a volé en éclat », résume-t-il.
Et de se poser une question : « Pourquoi le taux de confiance dans les médias français est l’équivalent à ceux de la Slovaquie ou de la Hongrie de Viktor Orban ? » Dans une réflexion sur la longue durée historique, il constate que la France est pays où c’est l’État qui a façonné la nation, expliquant cette grande déception quand il « trahit » le peuple, comme le dirait une certaine frange de la population.
L’historien et sociologue français Marc Lazar, cité par Vincent Giret, apporte une autre dimension au problème : « L’expertise aujourd’hui est ressentie comme une domination sociale, et même la plus sournoise », constate-t-il. « Et en réponse, il s’informe sur RT ! », réagit Philippe Val, non sans ironie. La Russie, et pas seulement, n’hésite d'ailleurs pas à souffler sur les braises afin de créer de la confusion dans les gouvernements opposants, dont la France.
Christophe Deloire voit dans les griefs portés contre les médias une exigence d’impartialité qui devrait rendre compte d’une réalité dans sa totalité. Et de conseiller de ne pas s’ériger en figure morale, posture agaçante.
Dans les causes de ce désamour relatif ou détournement vis-à-vis des médias, Philippe Val met en évidence le politiquement correct, citant par exemple la disparition du dessin de presse dans certains quotidiens, ou à quel point il a été édulcoré : « La liberté d’informer n’est pas menacée par l’État aujourd’hui comme ça a pu l’être durant des siècles, mais par la rue, en bas. »
Face à cet affadissement, Philippe Val souhaite répondre par le style : « Le premier patron du Monde, Hubert Beuve-Méry, expliquait à ses journalistes : “Faites chiant pour être crédible”. Et effectivement, c’est toujours aussi chiant de lire Le Monde. »
Il propose d’assumer la joie du journaliste à travailler dans le tragique, l’étonnement. Avoir de l’allure dans les difficultés, « ce qui est le comportement qui se rapproche en réalité le plus de la vie. » : « Toute notre joie de vivre vient du tragique », développe-t-il, et d’ajouter : « Sans elle, pas de Shakespeare, pas de Ricky Gervais. La fin du temps arrive tout le temps. Pline l’Ancien annonçait au Ie siècle av. J.-C. la catastrophe écologique. » Un manque de style et une approche négative des phénomènes traités ancrés chez les journalistes.
Mais ces trois grandes figures du journalisme actuel en sont certaines : le métier sera sauvé par ceux qui le font. On retrouve par exemple une bien meilleure spécialisation des journalistes aujourd’hui, capable de mieux traiter certains sujets. Néanmoins, Vincent Giret rappelle que seuls 4 % des journalistes ont eu une formation scientifique, et 8 %, économique.
Philippe Val, de son côté, l’affirme : « Élever le niveau du débat, ça marche ! C’est pourquoi la montée en gamme sauvera le secteur. » Et de conclure : « Lisez la presse ! »
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Paru le 09/02/2022
523 pages
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2 Commentaires
Marie
20/03/2023 à 07:54
Je pense que M.Val n'a pas à donner de leçon (ni d'opinion d'ailleurs) tant sa versatilité et son manque de justice (pour ne pas dire de jugement) dans un passé pas si lointain suffisent...Quand le mot "liberté" franchit sa bouche, une odeur nauséabonde surgit ...sous son nez.
Aurelien Terrassier
20/03/2023 à 17:45
@Marie Entièrement d'accord avec vous. Depuis que Philippe Val a défendu le torchon d'extrême droite face à Danielle Obono, là sa bêtise a atteint son paraxysme je crois aussi... Philippe Val bosse aussi pour un media de Vincent Bollore. Philippe Val c'est aussi lui qui a mené Charlie dans le mur. D'ailleurs Charb et Tignous s'en méfiant et sont restés potes avec Sine. Philippe Val, patron nommé de France Inter en 2010 par son ami Sarkozy, président de l'epoque a fait aussi viré Stephane Guillon, Didier Porte et Gérald Dahan. En plus de la fameuse affaire Sine. Donc Philippe Val n'a certainement pas de leçons à donner en matière de démocratie et de liberté d'expression.