Grégory Rateau figure parmi cette nouvelle vague de la poésie française, que l’on aime à suivre et à parcourir, comme un long pèlerinage en filigrane.
S’il partage son temps entre la France et la Roumanie et plus spécifiquement Paris et Bucarest, il ne cache pas un attachement singulier pour le second. Son premier roman publié en en 2016 chez l’Harmattan intitulé Hors-piste en Roumanie en témoigne, suivi quelque années plus tard par Noir de soleil, en 2020, chez Maurice Nadeau, ouvrage remarqué par la critique. Mais sur un tout autre registre cette fois-ci. Il faut dire que Grégory Rateau est aussi un globe-trotter qui aime se balader et se perdre dans quelques pays mythiques chargés de légende.
En Irlande notamment, mais aussi au Liban et au Népal. Des terres d’inspiration, mais aussi de « divagation poétique », au sens noble du terme, alors que le poète ne cache pas non plus son empathie pour le règne de l’humain avec ce qu’il recèle d’étrangeté et de diversité et dans lequel il puise toutes sortes de ressources. Le poète s’embrase au cœur de l’être, il en cherche toutes les subtilités enfouies au sein d’un destin qui lui cependant n’a rien de romanesque.
C’est en 2007 qu’il se fait déjà remarquer alors qu’il débute sa carrière comme scénariste et réalisateur. Titulaire d’un Master pro en cinéma, à l’université Paris 1 Sorbonne, où il réalise un documentaire produit par le Musée du Louvre et les Films d’ici, Belle entrée reconnaissons-le ! Il publie également dans quelques belles revues, Recours au poème, Oupoli, Revue A, La page blanche, Cavale. Également rédacteur en chef du Petit Journal de Bucarest.
Certes Grégory Rateau n’est pas un acharné de la publication, on parlera à cet endroit de poète économe, mais soyons certains qu’il ne passe pas inaperçu avec un positionnement parfois quelque peu libertaire au caractère volontairement fuyant, voire intimement réfractaire. Aussi l’aura-t-on compris, le jeune auteur entend bien mener sa vie à sa guise, sans être assujetti aux cénacles parisiens ou d’ailleurs, même s’il ne crache pas sur une reconnaissance bien méritée. Son roman Soleil noir a été sélectionné au prix France/Liban en 2020. Ce qui finalement n’est pas anodin.
Dans son premier recueil qui vient tout juste de paraître, au titre emblématique Conspiration du réel, l’auteur donne d’emblée le ton et qui laisse supposer que le poète est un inquiet compulsif dont la solitude intérieure est solidement ancrée dans tout le corps. Une solitude cependant qui n’a rien d’autistique et qui contredit plus subtilement les itinérances complexes. Dans sa préface pour le moins élogieuse, Catherine Dutigny, éclaire à ce sujet : « Poète de l’errance, d’un exil inscrit dans sa chair et dans ses multiples lieux de vie » - et plus loin, son regard souvent fébrile se pose sur les êtres, les lieux, les souvenirs, l’enfance, et les mots trop souvent longtemps retenus soudain jaillissent, incandescents, autant de l’âme que des tripes ». (P.7)
Mais de quelle errance s’agit-il et de quel exil le poète, enivré de souffrance, aurait peine à se départir ? Certes l’errance est souvent contingente au voyage intérieur, comme un support nécessaire ou tout bonnement une béquille artificielle qui empêche l’être de se morfondre dans les fonds abyssaux, ceux dont on ne ressort jamais tout à fait intact. Mais dans le cas présent, mieux vaut rester prudent sur les significations à donner et à promouvoir, car Grégory Rateau au fait de ses nombreux pèlerinages a appris à brouiller les cartes. Et il a vraisemblablement appris à le faire pour se sauver d’un mal plus grand, comme avec le temps - il a aussi appris à conquérir (museler) ses émotions fortes qui valent pour encombrement permanent de la conscience atteinte :
« Plus de courant
plus de divertissement
des natures mortes ici et là
çà grouille dans tous les coins.
L’angoisse sur une corde à linge
l’ennui
le rien » (P ;11)
La corde à linge est si ténue presque invisible parfois comme aussi bien rude comme l’archet d’un violon d’où les sons s’échappent épars. L’ennui, le rien qui viennent gangréner l’existence quotidienne.
« Un simple exécutant » (P.11)
Puis,
« Un vaste réseau fantôme aux ramifications profondes
relié aux quatre coins du monde
à rejouer sans cesse les mêmes notes privées de musique
jusqu’à cette libération honteuse
Retour à cet anonymat définitif » (P.12)
« Que sa lueur ne faiblisse
avant que son pouvoir
ne s’obscurcisse
que ma médiocrité
ne soit révélée
qu’à la lumière du jour enfin ressuscité ». (P.13)
« À mon tour de prier » écrit le poète. Mais comment prier sans pervertir l’essence même de toute prière « sincère et déployée », dont il faudrait alors capter l’essence primitive, ou bien alors le trouble récurrent. Dans cette fragile parenthèse, rien n’est jamais vraiment clair, car les termes sont originellement brouillés, ils n’ont plus rien de naturels, ils ont subi une érosion et une altération forcées. D’ailleurs la médiocrité reste le terme évident, aussi bien que peu valorisant. Le poète a-t-il cessé de s’aimer ? On peut en effet se poser la question. Et dont il se sert à la fois comme d’une arme incisive et défensive :
« La proximité du ciel
rajoute une couche de gravité », (P.21)
Même si le ciel en vérité demeure lointain, comme une illusion passagère qui pèse sur la conscience endolorie du poète, ou plutôt « la dé-conscience », celle qui ne filtre rien, pas même un reflet clarifiant. « Ça tourne en rond », « Ça demeure inaccessible », « ça ne dit rien », « ça ne dit plus rien ». Un kaléidoscope rétinien. Cependant que « Parfois, des voix encore humaines remontent vers le ciel et rencontrent l’écho du tonnerre » (P.29), « ce qui » ne relève plus du monde réel proprement dit : le non-réel. Peut-être aurait-il mieux valu, afin que l’illusion ne devienne permanente, ne plus se regarder en face. Car l’imposture point :
« Je sais qui tu es
inutile d’essayer de nous bluffer » (P.30)
« Un bâtard te reconnaît
ange gardien de ce rien que tu cultives »
Le poète aime le rien, car le rien protège de soi-même contre soi-même. L’autre ? Et le rien n’apprend jamais rien, il n’a pas d’existence propre. Le rien est une facilité de la désespérance et de l’inutile convoité. Il n’est pas un double de l’alter égo. Il n’est pas en quête de l’âme sœur. Le rien vaut ici pour déni ou infortune. Selon que :
« L’enfance s’arrête ici ».
Or l’enfance efface vite les souvenirs, ou du-moins ceux qui n’ont plus vraiment leur place dans la mémoire sélective. Toujours sélective. « Derrière la porte il ne reste qu’un seul rescapé ». Mais rescapé de « quoi » ? Quelques vaines chimères, et d’insatiables jeux de mots (maux).
« Pour déjouer le métronome de la ligne blanche ». (P.41)
Impossible après tant de périples, pour le poète d’oublier d’où il vient, « Ma banlieue » (P.47)
« Tu souffres de voir souffrir
puis tu souffres de ne plus rien ressentir »
« L’adolescence est pluvieuse » (P.53)
Croupir alors dans l’indifférence. Il n’y a plus d’échappatoire, de commune mesure. La juste mesure en somme. L’authentique discernement.
« L’enfance se meurt » (P.53)
Ainsi va la vie, parole simple il est vrai, presque naturelle à tous les êtres de chair et où la mort paradoxalement commence à faire son trou. Et où le trou toujours béant ne cesse de s’agrandir au cours des années qui se succèdent comme un chant lancinant et qui devient chaque fois plus inaudible – un refrain privé de nom et s’ouvrant sur le non. Non plus cette fois-ci réalité, mais inanité de la posture dans un monde qui trésaille et qui reste parfois sans témoin.
Respire !
Paru le 31/03/2022
82 pages
Editions Unicité
13,00 €
Commenter cet article