Une quarantaine de convives – médias impliqués, journalistes indépendants –, se retrouvaient ce matin pour écouter les membres du collectif StopBolloré. Un « projet transverse », qui part d’une certaine conception du débat public, donc du rôle de la presse, pour aboutir à une démarche juridique. Au cœur de l’action, un message diffusé ce 15 février, alertant sur les dangers de la concentration tant dans les médias que l’édition. Et au cœur de tout cela, Vincent Bolloré, qui fait l’actualité.
Le 16/02/2022 à 12:53 par Nicolas Gary
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Publié le :
16/02/2022 à 12:53
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L’appel diffusé ce 15 février par le collectif StopBolloré, était suivi, le lendemain, d’une conférence de presse. Au cœur des échanges, la menace que fait planer le milliardaire sur « la tradition démocratique ». L’avocat Arié Alimi, membre de la Ligue des Droits de l’Homme, menait les échanges, expliquant que « la société civile s’est réunie dans un collectif éclectique ».
De fait, si la concentration n’est pas un sujet récent, il importe aux membres d’« enrayer cette dynamique mortifère qui véhicule des idées d’extrême-droite, homophobes, racistes et sexistes ». En somme, un résumé de ce que serait la pensée de Vincent Bolloré, accusé ouvertement de mettre ses différents médias au service de la diffusion de celle-ci.
Arié Alimi au micro
Secrétaire général du Syndicat national du Journalisme CGT, Emmanuel Vire insiste : en France, « 9 milliardaires possèdent 90 % des médias de ce pays ». Mais avec Vincent Bolloré, un cap est franchi de par la « visée idéologique » et ses acquisitions entraînant une casse sociale lourde chaque fois. En 10 années, 5000 cartes de presse ont disparu.
Laurence de Cock, historienne, évoquera pour sa part le secteur de l’édition : elle rappelle ainsi le lien entre Bolloré et Zemmour, dont le dernier livre fut distribué par Interforum, filiale d’Editis, propriété du groupe Vivendi. Et d’insister sur cette dimension idéologique : « Bolloré devient le Monsanto de l’édition », affirme-t-elle. Et de pointer les fameux 78 % de parts de marché sur le secteur littérature dans les formats poche.
Une donnée GfK 2020 qu’il faudrait nuancer en indiquant qu’Albin Michel possède près de la moitié de la filiale Livre de Poche, avec Hachette Livre. En outre, il convient de rappeler que le segment poche n'est pas le plus critique en matière de concentration : le scolaire et parascolaire représentent des secteurs éditoriaux nettement plus importants, en cas de fusion. « En quoi, nous, auteurs, devrions alimenter les dividendes de l’actionnaire ? », interroge l’universitaire.
Marie-Pierre Vieu, directrice de la maison d’Édition et d’Initiatives Arcane 17, abonde : « La petite édition peut mourir », avec la fusion Edithachette qui se profile. Auteurs, distribution des œuvres, jusqu’aux services publics sur les territoires qui accompagnent les acteurs du livre sentiraient le couperet. « Notre maison est spécialisée dans la nouvelle : quel avenir pour la nouvelle sous Bolloré ? », demande l’ancienne députée européenne, élue dans la circonscription Sud-Ouest entre 2017 et 2019.
Éric Beynel, en reconversion dans le domaine de la librairie, surenchérit : voilà quelques mois que l’on a célébré le 40e anniversaire de la loi Lang, établissant un prix unique pour le livre. « L’importance du réseau de librairies de proximité permet de faire connaître autre chose », relève-t-il. Or, ce même réseau serait mis en danger par la puissance de diffusion distribution que représenterait la fusion Hachette Distribution et Interforum.
Dans les faits, on sait que cette perspective est impossible : la Commission européenne demandera forcément à Vivendi de se séparer d’une partie de cette activité. Et l’on murmure de plus en plus fortement dans l’industrie que Vincent Montagne, PDG de Média Participations, serait intéressé par certains des actifs d’Editis.
En outre, les conditions commerciales déjà en vigueur et imposée par le groupe Hachette Livre, premier en France, pèsent lourdement sur les épaules des librairies. Toutefois, Éric Beyle ajoute que la rentabilité fragile des librairies, autant que la disponibilité des livres seront de réels sujets d’inquiétudes. À ce titre, le Syndicat de la librairie française, ainsi que plusieurs éditeurs (Actes Sud, Gallimard) et les librairies de Belgique ont déposé une plainte au niveau européen. Nous avons sollicité ces acteurs pour en apprendre plus.
NDR : le secrétaire général du SLF indique à ActuaLitté : « Dans la procédure juridique européenne en cours, il ne s’agit pas d’une plainte mais d’une intervention dans le dossier en tant que « tiers intéressé ». Nous intervenons auprès de la Direction générale de la concurrence de la CE en mettant en avant les risques de l’opération de fusion en matière économique et culturelle. »
Le collectif StopBolloré a lui aussi quelques projets juridiques. Tout d’abord, une saisine a été déposée ce jour même (consultable sur leur site) auprès de l’Arcom — réunion du CSA et d’Hadopi. Elle fait état de 7 manquements contractuels relevés au gré de visionnage de l’émission Face à l’info, entre octobre 2019 et septembre 2021. Toute la période durant laquelle Eric Zemmour officiait sur la chaîne CNews qui diffuse l’émission. Tout un travail d’analyse et de qualification, note Arié Alimi.
Pour Samuel Thomas, président Maison des Potes , « chaque passage à l’antenne d’Eric Zemmour, son omniprésence » ont conduit à de dangereux messages. Et de lister « la stigmatisation des musulmans, l’encouragement à s’armer », en somme la mise en œuvre d’une guerre civile. Le collectif estime donc impératif de poursuivre les abus de liberté d’expression quand ils prennent une telle ampleur.
Deux projets de plaintes contre X sont à l’œuvre : le premier porte sur la provocation à s’armer contre une partie de la population. Le second concerne la diffusion à des mineurs d’un message à caractère violent et de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine. Daniel Schneidermann, cofondateur du site Arrêt sur image, abonde : « Bolloré est sans exemple en ce qui concerne le nombre de procès baillon. »
Autrement dit, des procédures qui visent à museler un message déplaisant. Et le milliardaire s’en est d’ailleurs pris aussi bien à des journaux indépendants qu’à des médias institutionnels. « Son parcours liberticide en fait un intervenant hors norme », qui justifie, plus que jamais, la mobilisation. « Je ne voudrais pas que nous nous retrouvions comme les journalistes allemands à Berlin, en 1933, qui n’arrivaient pas à trouver les mots pour décrire ce qui se passait », conclut-il.
Si les mondes de la presse et celui de l’édition convergent dans cette situation, encore leur faut-il trouver un langage commun, pour dénoncer ce groupe global qui se profile. À ce titre, indiquait Marie-Pierre Vieu, une intervention du collectif visera cette fois la Cour de Justice de l’Union européenne, pour tenter d’influencer le cours de l’Histoire.
Mais une difficulté demeure, touchant strictement au monde du livre. De nombreux auteurs ont signé l’appel diffusé ce 15 février, et quelques maisons d’édition indépendantes. Mais en regard de tout ce que le pays compte d’éditeurs, le nombre reste faible. « Les liens entre les distributeurs et les éditeurs peuvent conduire à une certaine frilosité, voire une grande prudence », nous indique-t-on.
« Il est difficile de se mettre en porte-à-faux, ouvertement, quand on dépend de l’une ou l’autre structure pour garantir la présence de ses livres en points de vente. » De même, on ne trouve pas de libraires signataires. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets ? Probablement plutôt du fait d’un manque de contacts avec le secteur, nous indique un membre du collectif. Mais l’appel est désormais ouvert à tous.
Toute personne intéressée pourra contacter le collectif à l'adresse contact@stopbollore.fr.
crédits photo : ActuaLitté CC BY SA 2.0
3 Commentaires
Aleph
16/02/2022 à 15:56
C'est bizarre tout de même que des gens indignés qu'un concitoyen ne pense pas comme eux aillent le dire et se liguent, non pour lui opposer un message différent, non pour lui porter la contradiction, mais bien pour l'embarrasser par un fatras de remarques ad hominem, procès d'intention, signalement à des officines de censure déjà outrageusement complaisantes, etc.
Ce serait de l'intolérance en meute que ça ne m'étonnerait pas. Ce serait aussi téléguidé en période électorale que ça ne m'étonnerait pas.
Des éditeurs politisés, ça ne manque pas. Maspero, c'était une maison neutre ? des brasseurs d'argent qui vendent des textes d'un bord opposé au leur, ça se voit : Libé a appartenu à Rothschild, par exemple.
J'aime encore que cette tribune scandalisée par le soutien entre Zemmour et Bolloré paraisse juste après un article exposant qu'un pamphlet anti-Zemmour vient d'être publié sans la moindre hésitation ni intervention au sein du groupe Bolloré.
Gageons que les mêmes vont salutairement hurler après le journaliste du Canard Enchaîné espion communiste.
Marie
17/02/2022 à 08:11
La Canard "espion communiste", comme vous y allez! Visiblement ( je devrais écrire "lisiblement"), vous n'en avez pas la lecture que j'en ai.Plutôt , que j'en avais, car il ne me fait plus rire, et je ne le lis plus.Mais au minimum on peut lui faire justice pour son "apolitisme" grand teint, je lui ai connu des lecteurs farouchement anti -coco qui le lisaient "du titre au gérant".
Ceci écrit, le "coach" déclaré de Zemour, devenu un magnat de la presse, entre dans la "toxicité" à combattre, mais comment?Quand la lecture est un besoin vital, on peut avant d'acquérir emprunter à la médiathèque...Bref l'ultra concentration dans la diffusion rend encore plus grabataire la démocratie, déjà malade.
pmlg
18/02/2022 à 10:08
Je me fous de Bolloré mais tout autant des cris d'orfraie qui emploient des expressions toutes faites et font des comparaisons du style tête de gondole qui ne veulent rien dire.