Une année de crise : tragique bilan pour les auteurs européens
La Fédération des associations européennes d’écrivains (European Writers' Council, EWC) a convoqué William Shakespeare dans son rapport consacré aux effets de la crise sanitaire et économique sur les auteurs européens. Un certain sens de la tragédie, malheureusement très à propos, d'après les données collectées...
Le 03/11/2021 à 16:48 par Antoine Oury
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Publié le :
03/11/2021 à 16:48
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27 organisations d'auteurs ont été interrogées par la fédération, qui propose un condensé de leurs réponses dans un rapport, accessible en intégralité en fin d'article. L'idée était de consolider les premières données obtenues en 2020, pour mieux couvrir l'année 1 de la pandémie (mars 2020— mars 2021) et ses effets.
Pour près de 70 % des répondants, les baisses ou disparitions les plus sensibles de revenus sont liées à des annulations de lectures publiques, festivals, foires ou tables rondes, devant les ateliers et les bourses.
Ces disparitions de revenus n'ont eu lieu, après annulation de l'événement, que dans 11 % des cas, et n'ont fait que rarement (42 %) l'objet d'une compensation, voire ne sont pas compensées du tout (38 %).
La numérisation des événements annulés ou des événements tout court a pu laisser place à quelques bonnes surprises : en Espagne, le gouvernement a ainsi financé des débats et ateliers d'auteurs diffusés en ligne. Mais, la plupart du temps, ces diffusions numériques n'ont pas été rémunérées à la hauteur de l'investissement : dans 18 % des cas, aucun défraiement n'a été versé, quand les organisateurs s'en sont acquittés, dans 40 % des cas.
Baisses importantes, aides aléatoires
L'autre source de diminutions de revenus se trouve bien sûr du côté des éditeurs, dont les parutions ont été chamboulées par la crise. Dans 20 pays au moins, 54 % des éditeurs ont réduit leur programme de parution de 10 à 50 %, laissant parfois les auteurs dans le flou le plus complet vis-à-vis de la parution de leur livre. Un phénomène similaire est attendu en 2021. Et, d'après 20 % des réponses environ, les avances versées par les éditeurs ont suivi le mouvement, et sont en baisse.
Les textes traduits, la fiction, le théâtre et les jeunes auteurs ont été particulièrement touchés par ce phénomène, relève la fédération.
DROIT: les contrats européens lèsent les traducteurs
La compensation de ces pertes de revenus n'a pas été à l'ordre du jour, pour de nombreux auteurs européens : 40 % des pays n'ont pas mis en place une aide à destination des auteurs et des traducteurs. Seuls 40 % des organisations professionnelles ont pu soutenir financièrement les auteurs. D'une manière générale, les pertes de revenus des auteurs membres des organisations interrogées vont de moins de 10 % à 60 %.
Le développement du piratage, observé par 40 % des réponses données, et la baisse des droits d'auteur liés à d'autres types d'exploitation font encore craindre des conséquences dramatiques pour les auteurs sur l'année 2021 et 2022.
Quelques recommandations
Dans un commentaire de texte, la Fédération des associations européennes d’écrivains invite les États membres à implanter sans plus tarder la directive européenne sur le droit d'auteur, dont certains articles sont particulièrement protecteurs vis-à-vis des auteurs. Elle propose aussi de généraliser le droit de prêt en bibliothèques tout en encourageant, paradoxalement, au recours aux licences pour les livres numériques — pourtant très coûteuses pour les bibliothèques.
Elle propose également aux pays européens de développer des plateformes équitables de distribution de livres audio et numériques, ou encore de favoriser l'apparition d'un site de vente en ligne de livres d'occasion qui reverserait une part des ventes aux auteurs. Le document complet, avec toutes les propositions, est accessible à cette adresse.
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13 Commentaires
LOL
04/11/2021 à 08:01
Si les auteurs gagnaient leur salaire avec les ouvrages qu'ils vendaient, ils ne seraient pas obligés de se prostituer en faisant autre chose. L'impact d'une crise comme le COVID aurait été négligeable, voire profitable, étant donné que les lecteurs ont globalement augmenté.
Le problème n'est pas la crise. La crise n'est qu'un révélateur : un auteur ne gagne pas sa vie en écrivant.
Pour une raison simple : « on » ne lui reconnaît pas un véritable statut (professionnel).
Il suffit de lire un « contrat » d'édition pour s'en rendre compte. Pathétique !
Aradigme
04/11/2021 à 15:37
Bonjour LOL,
Vous écrivez : « on » ne lui reconnaît pas un véritable statut (professionnel). Qui est ce "on",selon vous? Voyez-vous les auteurs comme des employés de la fonction publique où seul le "statut" garantit une rémunération?
On peut très bien exercer un métier rémunérateur qu'on estime passionnant et se divertir en tant qu'auteur, sans pour autant avoir le sentiment de se "prostituer" comme vous l'écrivez (quel cliché éculé, au passage).
Salutations
Aradigme
LOL
05/11/2021 à 07:10
C'est justement à cause de l'apport de non-professionnel que le statut d'un auteur est intenable.
L'édition a tout intérêt à travailler avec des auteurs occasionnels qui n'ont aucune autre attente que d'être publié. Vous jouez le rôle de l'immigration et du tirage des salaires vers le bas. Quand un salarié veut une augmentation, un patron lui dit qu'il peut s'en aller, car il a de la main-d'œuvre pas cher qui attend.
Donc, « cher immigré », tant qu'il y aura des gens comme vous, il y aura des auteurs qui ne pourront pas se professionnaliser.
Aradigme
06/11/2021 à 16:38
Bonjour LOL,
Si un auteur amateur attire autant de public qu'un "professionnel" (lequel a sans doute démarré comme amateur), quelle valeur ajoutée supplémentaire apporte le "professionnel"? Je crois que les auteurs "professionnels" sont des amateurs dotés d'un peu plus de talent, d'obstination, de chance (oui, il en faut un peu) que les autres, et qui se sont aguerris au fil du temps.
Francis Carsac fut un préhistorien renommé qui fouilla de nombreux sites et définit une méthode encore utilisée de nos jours. Il mena en parallèle sa carrière de Professeur à l'Université de Bordeaux et celle de romancier de SF.
Stefan Wul continua son métier de chirurgien dentiste tout en écrivant "Niourk" et d'autres romans de SF... Les exemples ne manquent pas.
D'ailleurs, comment définiriez-vous un auteur "professionnel"? Et ne me dites pas que "c'est un auteur qui vit de sa plume", car pour arriver à cela, l'auteur a dû débuter comme amateur et écrire de nombreuses années.
Salutations
Aradigme
SamSam
06/11/2021 à 11:23
Tout à fait d'accord, LOL, sur le statut d'auteur pro.
Le pb de fond est que tout cela résulte, ou ne résulte pas, d'un rapport de forces. Face aux auteurs le Marché, dont l'édition, la distrib, la diff ne sont que des incarnations. Sauf certains petits éditeurs qui jouent le jeu de la création, au "prix" de galères et de publications sombrant dans le vide, vu que les médias officiels ne volent qu'au secours de la victoire, en l'occurence les bouquins qui se vendent - cf la remarque de Beigbeder à propos de Chevillard, un styliste anachronique, ou presque, dans le peloton des bankables : "il ne vend rien".
Les auteurs n'auront pas de statut tant qu'il y aura des politiques au pied de l'argent, des assocs d'auteurs croupionnes (SGDL et autres) et des auteurs qui avancent seuls vers l'abbatoir. Donc, voir les programmes en matière de culture portés par les candidts à la présidentielle. On passera sur les "programmes" des fanatiques fascisants, Z pas comme Zorro, la Marinade et autres obsédés de l'Ordre de l'Argent-Roi. Ces pestilentiel(le)s n'en ont rien à faire de la Culture, si ce n'est celle qui règne, la culture des mausolées, des grands anciens, la culture du jackpot avec la Bacheloterie des prix Congourde et autres Renodaube.
Mais du côté Insoumis et RIC, il y a de la culture, parce qu'il y a de la liberté et l'envie de détruire ce qui étrangle la création et ses institutions depuis trop longtemps.
SamSam
04/11/2021 à 08:35
La FAE "invite"...Les Etats membres, tous dirigés des ultra-libéraux d'extrême-droite, comme notre ami Monarcos, vont s'asseoir dessus. Et la reine du télé-achat, la Bachelot en premier qui ne veut même pas recevoir et encore moins écouter les syndicats et/ou les assocs d'auteur.
Par ailleurs, l'alpha et l'omega de cette association d'auteurs - qui la compense, qui la finance, qui la dirige, on n'en sait rien - semble être le Marché. Le Marché qui gave les GAFA et les industriels du livre, au détriment des auteurs, dont le pb n'est pas temps qu'ils aient perdu pas mal, mais qu'ils ne gagnent presque rien. Sauf ceux qui font du papier jetable à couverture criarde, ou de la littérature du temps jadis, recyclé des grands anciens, ou mécanique textuelle sans âme, bête à prix qui gaveront un peu plus les farcesques Gallimord, Souille et Grassouillet, ces outres prétendant aider la création.
Comme d'habitude, on a convoqué les tambours et les faux-semblants. Et les caisses de résonance.
Aradigme
04/11/2021 à 15:50
Bonjour SamSam,
Le Marché ne constitue pas une entité démoniaque toute puissante, contrairement à ce que vous semblez parfois considérer. Le Marché, c'est le public. Ce sont les millions de consommateurs qui achètent tel livre plutôt qu'un autre. Alors, peut-être que ces millions de personnes, comme vous l'écrivez, préfèrent-elles des couvertures criardes et des textes recyclés mille fois... On peut ne pas l'apprécier, mais figurez-vous que c'est leur droit parce qu'elles paient!
Votre solution consisterait-elle à leur faire acquérir de force les bouquins approuvés par le Parti, quel qu'il soit...? Je ne considère pas que ce soit une meilleure solution. Je préfère un choix large, et que le meilleur gagne, même s'il rafle une bonne part de la mise.
Salutations
Aradigme
SamSam
04/11/2021 à 19:36
Aradigme,
Je parle du Marché, pas des consommateurs. Le Marché est une structure de production et de commercialisation irriguée par la finance qui impose son mode de financement, avec l'interface médiatique entre lui et les consommateurs. Les consommateurs ne sont pas les acteurs du Marché, ils sont soumis à ce qu'on leur propose et les envies qu'on suscite chez eux. Ils ont un peu la position des auteurs dans la chaîne du livre.
Et donc, l'achat, pour la grande majorité des gens, est limité, orienté, sauf pour le petit nombre, "éclairé", qui va vers des niches pour trouver ce qui n'est pas dans les rayons de la conso de masse, dont la librairie fait partie, trop souvent, à part quelques irréductibles qui vivotent, faute de lecteurs un peu "éclairés", un peu curieux, un peu au fait de la littérature et autres.
Ceci dit, vous avez raison, chacun a le droit de choisir dans cet espace marchand qui ressemble à un tunnel pédagogique...
Je n'ai pas de Parti, je cherche juste à comprendre ce qui se passe dans ce monde marchand et à choisir de manière autonome. Qualifier cela avec un cliché d'anti-communisme primaire est datée, et totalement innoportun. Dans notre monde "liquide", ce n'est pas le meilleur qui gagne, c'est la manipulation, trop souvent. En sortir, suppose de sortir du consumérisme qui vous fait aller d'un produit à l'autre.
Aradigme
06/11/2021 à 16:48
Bonjour SamSam,
Je crains que votre définition ôte aux consommateurs leur libre arbitre et les transforme en pantins d'une créature imaginaire non seulement démoniaque, mais aussi toute puissante.
Je n'adhère pas à votre vision (je crois le terme bien choisi). Pour moi, les consommateurs et les citoyens disposent de leur libre arbitre, de leurs désirs propres, et ne sont que marginalement affectés par les media et la publicité.
Considérez par exemple qu'un politicien comme Trump, qui n'était pas particulièrement brillant, qui avait contre lui toutes les TV (excepté FOX news), tous les journaux, la plupart des intellectuels, tout Hollywood et tous les GAFA ait cependant réussi à devenir Président des USA. N'est-ce pas une preuve de la relative insensibilité des individus aux pressions des média et lobbies divers?
Salutations
Aradigme
Pic
05/11/2021 à 07:45
Le marché serait le public... s'il n'y avait pas de pub. Or, la pub (quand on est capable de coller des afficher 4x3 dans le métro pendant des semaines, on influence le lecteur) déséquilibre le marché.
Ce n'est pas le meilleur qui gagne, mais celui qui sait le mieux se vendre.
Aradigme
06/11/2021 à 16:21
Bonjour Pic,
Voici mon expérience sur la question. Le marché est en effet constitué par l'ensemble des consommateurs. Toute personne qui a étudié le marketing, conçu et commercialisé des produits le sait. Cette personne sait aussi que la seule façon efficace de vendre consiste à créer des produits qui plaisent plus au consommateurs que ceux des concurrents, que ce soit à cause de la qualité, du prix, de la disponibilité, de la facilité d'usage, de la sécurité, etc...
Le rôle de la publicité consiste à informer et à donner au consommateur l'envie d'en savoir plus. Par expérience, la publicité à elle seule déclenche peu souvent l'acte d'achat. L'expérience d'utilisateurs partagée par le "bouche à oreille" fonctionne beaucoup mieux. La publicité peut donner un coup de main au départ, mais en aucun cas assurer à elle seule un succès de longue durée. Si le produit commercialisé ne correspond pas aux attentes du public, cela se saura vite, surtout avec les sites d'évaluation en ligne qui existent aujourd'hui, et le publicitaire qui s'acharnera à pousser un produit inadapté y perdra sa chemise.
Pour en revenir la littérature, je crois qu'un auteur bien adapté à son public finira par percer. Cela prend sans doute du temps, car beaucoup d'auteurs ne sont adaptés qu'à un public spécifique, pas à l'ensemble des lecteurs (exception: des écrivains comme Musso) et il faut du temps pour qu'un auteur rencontre son lectorat et le développe. C'est alors que la publicité entrera en jeu, comme un booster pour un auteur déjà connu qui désire étendre un lectorat existant.
NB. Je dois reconnaître, hélas, que certains auteurs percent finalement "post mortem". HP Lovecraft n'est devenu connu, puis célèbre, (et sans aucune publicité) que bien longtemps après sa mort dans la misère. C'est dommage pour lui. Il n'écrivait tout simplement pas pour le public de son époque... Mais ceci n'infirme en rien mon affirmation de départ. Il a fini par percer!
Voilà. Ce sont mes réflexions sur la question, tirées de quelques dizaines d'années dans la conception, la réalisation et la commercialisation de produits. N'y voyez pas une bible...
Salutations
Aradigme
Dominique
04/11/2021 à 19:32
Comme dit plus ailleurs, le covid n'est pas la cause, mais un révélateur d'un marché injuste et défaillant. Ce qui vaut pour bien d'autres secteurs professionnels.
L'essentiel serait des contrats d'édition plus équitables entre les auteurs et leurs éditeurs, ainsi que des rémunérations plus nombreuses pour le travail de création, le temps passé en dédicaces et autres activités similaires, les tâches administratives inhérentes au métier d'auteur.
La création d'un statut particulier associé pourrait aider également.
ZEST
20/11/2021 à 23:21
En fait pour la source, il s'agit de la Fédération des associations européennes d'écrivains (European Writers’ Council, EWC), donc il ne s'agit pas des auteurs en général, ni même des auteurs et autrices de livres mais des écrivains et traducteurs. Peintres, sculpteurs, compositeurs, photographes, designers, graveurs, chorégraphes, dessinateurs, etc etc sont aussi des auteurs. Quitte à utiliser des mots autant bien les choisir, et ne pas confondre la partie avec le tout. Merci.