Dans le cadre d’Italissimo, festival dédié à la littérature et culture italiennes, l’Institut Italien de Culture de Paris réunit des professionnels de l’édition française et italienne pour une table ronde. L'occasion d'un état des relations et des cessions de droits entre les deux pays. Un échange toujours fertile, malgré les différences entre les deux marchés éditoriaux.
Le 06/04/2024 à 22:50 par Federica Malinverno
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La rencontre du 5 avril 2024 s'est ouverte sur un dialogue animé par Fabio Gambaro, directeur d'Italissimo, entre Liana Levi, éditrice et vice-présidente du SNE (Syndicat National de l'Édition), et Innocenzo Cipolletta, président de l'AIE (Associazione Italiana Editori).
On découvre que le marché du livre en France et en Italie présente des similitudes, notamment depuis la pandémie, qui a marqué pour les deux secteurs un moment de reprise. Cependant, depuis 2022, une diminution a été observée, en particulier concernant le nombre d'exemplaires vendus en Italie. Selon Liana Levi, « 2023 a été une année difficile ».
Innocenzo Cipolletta souligne également que certaines subventions accordées aux bibliothèques italiennes pendant la crise sanitaire n'ont pas été renouvelées, ce qui a fragilisé le secteur. Néanmoins, le secteur éditorial italien se tourne de plus en plus vers l'international : selon les chiffres du SNE, environ 500 titres ont été vendus en France en 2022 (sur un total de 7889 titres cédés par l'Italie, source : AIE).
Si l'on considère que la France a vendu environ 1157 titres à l'Italie (données SNE) la même année, on constate que l'équilibre commercial n'est pas encore atteint. Toutefois, selon les statistiques de l'AIE, on note une augmentation des cessions de titres italiens depuis les années 2000.
Les relations littéraires entre la France et l'Italie pourraient être affectées par la crise générale de la littérature étrangère en France. Cette situation pourrait être due à plusieurs facteurs, notamment aux difficultés de promotion propres à chaque littérature non nationale (« On demande de plus en plus une présence des auteurs sur scène », affirme Alice d'Andigné, éditrice chez Robert Laffont), mais aussi à des enjeux de production.
Effectivement, Juliette Ponce, éditrice chez Dalva, mentionne que « la France traduit beaucoup d'œuvres étrangères », mais la réception n'est pas immédiate, certains thèmes abordés dans les œuvres de certains pays ne rencontrant pas les attentes et les interrogations du public français, et ayant donc du mal à trouver leur audience.
Des échanges toujours enrichissants… Cependant, comme le rappelle Liana Levi, « c'est plus compliqué de faire des présentations et d'inviter des auteurs d'autres langues » que l'italien, perçues comme plus éloignées du français ou plus exotiques.
La proximité et les liens culturels entre l'Italie et la France favorisent néanmoins la vitalité de la littérature italienne traduite en France aujourd'hui : des succès tels que ceux de Goliarda Sapienza (L'Art de la joie, traduit par Nathalie Castagné en 2005 puis en 2016, Le Tripode) et de Milena Agus (Mal de Pierres, traduit par Dominique Vittoz, 2005, Liana Levi), soulignés par Liana Levi, sans oublier Elena Ferrante, ont suscité l'intérêt du public français pour la littérature transalpine. Juliette Ponce note également « une certaine lassitude en librairie » concernant ce qui était autrefois « la quête du grand roman américain ».
La littérature américaine demeure cependant dominante en termes de traductions (selon le SNE, 59 % des traductions publiées en France en 2022 proviennent de l'anglais), même si l'on observe un intérêt croissant pour une diversité linguistique.
La littérature italienne en France, de même que la française en Italie, est proposée par un nombre croissant de maisons d'édition : il existe peut-être moins d'éditeurs spécialisés dans le domaine italien en France, mais de plus en plus d'entités, grandes ou petites, s'ouvrent à différentes littératures, y compris l'italienne.
C'est le cas, par exemple, de Buchet-Chastel, qui a publié cette année l'œuvre de Matteo Porru, La douleur fait naître l'hiver, traduite par Audrey Richaud. L'éditrice de littérature étrangère Maÿlis de Lajugie affirme apprécier la « surprise » lorsqu'elle décide d'acquérir une œuvre, une surprise que l'on retrouve chez cet auteur italien, très jeune (né en 2001), qui situe son récit en Russie…
En ce qui concerne la production française, Alice d'Andigné met en avant une nouvelle tendance : les récits littéraires basés non sur la fiction pure, mais écrits à partir de faits historiques ou personnels, rappelant ce que l'on désigne en anglais par narrative non-fiction.
Cette tendance se retrouve également en Italie, comme le souligne Sabrina Annoni (HarperCollins Italia), qui mentionne le roman de Nicola Lagioia, La ville des vivants (traduit par Laura Brignon, Flammarion, 2022).
Cette table ronde a également offert l'occasion d'évoquer deux maisons d'édition italiennes au profil distinct, ayant traduit et publié de nombreux auteurs français en Italie. Il s'agit de la prestigieuse Adelphi, fondée en 1962 à Milan, et de la plus modeste, mais tout aussi intéressante, Voland, créée à Rome il y a 30 ans par Daniela Di Sora. L'emblématique éditeur et auteur italien Roberto Calasso appréciait chez Adelphi la publication de « classiques du XXe siècle ».
Adelphi a notamment permis de faire découvrir les œuvres d'Emmanuel Carrère en Italie, auparavant publiées en partie chez Einaudi sans susciter un véritable intérêt du public et des critiques. Adelphi a pris le relais après Einaudi avec Limonov (publié en France en 2011 chez POL) et a vendu au total 700 000 exemplaires des titres d'Emmanuel Carrère. Jean Echenoz, Pierre Michon, et Yasmina Reza figurent parmi les autres voix françaises publiées par Adelphi, sans oublier Georges Simenon, dont 174 titres ont été traduits, totalisant environ 8 millions d'exemplaires vendus.
Daniela Di Sora, spécialiste de slavistique (le nom de sa maison est un hommage au Maître et Marguerite de Mikhaïl Bulgakov), publie aussi bien des auteurs italiens que français, pour un total de 25 livres par an. Le succès de sa maison est lié principalement à Amélie Nothomb : l'éditrice a en effet décidé d'investir tous ses fonds dans l'achat de quatre livres de l'autrice publiée en France chez Albin Michel, qui ensuite n'a jamais souhaité changer d'éditeur, lui témoignant sa gratitude par sa fidélité.
Si le marché du livre présente des points communs entre l'Italie et la France, plusieurs différences sont à noter. En France, par exemple, le format poche occupe une place importante, tandis qu'en Italie, les lecteurs privilégient souvent l'édition grand format. Comme le souligne Liana Levi, les éditeurs français disposent de « leviers » pour défendre leurs droits « que l'Italie n'a pas encore ». À titre d'exemple, mentionnons l'ADELC (Association pour le Développement de la Librairie de Création).
Toutefois, en Italie aussi, le soutien financier s'accroît, notamment de la part du ministère de la Culture, dont dépend le Cepell (Centro per il Libro e la Lettura) qui contribue à la diffusion internationale de la littérature italienne et à la promotion de la lecture dans le pays. La plateforme plurilingue NewItalianBooks proposera bientôt aux professionnels un guide, à la fois papier et numérique, pour s'orienter dans le complexe paysage des aides à la traduction italienne.
Un dernier enjeu concerne l'égalité hommes-femmes dans le secteur éditorial. Selon Juliette Ponce, la situation s'est améliorée en France depuis 2018, même si les postes de direction restent majoritairement masculins. Malheureusement, cette situation prévaut également en Italie…
Crédits photo : Federica Malinverno / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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